Alors que la France célèbre actuellement le quarantième anniversaire de mai 1968, et que les ouvrages sur le sujet prolifèrent de toutes parts, il est intéressant de constater que la plupart des auteurs, quand ils évoquent l'héritage immédiat de 1968 abordent généralement les groupuscules d'extrême gauche qui en continuant le combat pour la révolution politique tentaient de construire des organisations disciplinées et hiérarchisées. Ils oublient pour la plupart qu'une autre mouvance née dans le sillon de 1968 avait placé les questions de sexualité au cœur du projet révolutionnaire et n'envisageait pas le salut de la société autrement que par la libération sexuelle.
En effet, l'héritage militant de mai 1968, au début des années 1970, est double. D'un côté, les milieux gauchistes où l'individu tendait à s'effacer devant le groupe et le plaisir devant le devoir. De l'autre, les réseaux libertaires et spontanés organisés en communautés non hiérarchisées, s'opposant à toute forme d'autorité, préférant l'amour à la guerre et qui firent de la libération du désir la clé de la révolution à venir. C'est naturellement à cette seconde catégorie qu'appartenait le Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire qui vint mettre fin en 1971 au monopole de la question homosexuelle que détenait depuis 1954 l'association connue sous le nom d'Arcadie qu'avait fondée André Baudry.
Le thème de l'homosexualité a longtemps été écarté en France du champ de recherche en sciences sociales et demeura un objet privilégié de la recherche médicale et psychiatrique. Il aura fallu attendre les années 70, la libération sexuelle aux Etats-Unis et la parution des premiers ouvrages anglo-saxons pour voir l'homosexualité s'émanciper des carcans de la médecine, de la psychiatrie et de la psychanalyse pour acquérir une respectabilité nouvelle dans le champ des études en sciences sociales. De ce fait, Arcadie, tout comme le FHAR n'ont pas fait l'objet d'une recherche scientifique approfondie et particulière alors qu'ils constituent en France les groupes précurseurs de ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler le mouvement gay. Ce premier constat nous a incités à entreprendre le défrichage de ce que furent ces deux mouvements pour quiconque chercherait à savoir quelles furent les racines du militantisme gay contemporain. Parce que l'irruption du FHAR fut brutale, spontanée et qu'elle portait nécessairement en elle l'idéologie de la conjoncture sociale qui lui avait donné naissance, nous nous sommes interrogés sur les changements qu'une telle situation pouvait induire sur la façon dont les homosexuels envisageaient eux même l'homosexualité au sein de la société, comment la concevaient-ils, comment se définissaient-ils eux-mêmes ? De cette interrogation est née l'idée d'une analyse comparative des stratégies de communication et des ressorts de l'expression homosexuelle entre Arcadie et son concurrent héritier de mai 1968, le FHAR.
[...] Le dernier numéro nous fait assister au stade ultime de l'assassinat de l'homosexuel : le suicide des protagonistes. Le journal est abandonné aux anarchistes espagnols du M.I.L. (Mouvement Ibérique de Libération), aux publicités des feuilles du Mouvement des conseils et du journal anarchiste français Invariance. L'article pour en finir avec le cul indique clairement qu'il ne sera plus question d'homosexualité ni même de sexualité: C'est volontairement qu'on s'est coupé du FHAR et autre MLF . ; Nier la sexualité et laisser le champ libre à nos désirs . [...]
[...] Hazera Hélène, Rouge à lèvres et slogans : souvenirs gazogènes Gai Pied hebdo 460, Mars 1991. Hahn Pierre, L'origine d'un pionnier Gai Pied mai 1881. Hocquenghem Guy, Françoise d'Eaubonne, Jean-Louis Bory Homosexualités 1971-1981 - Les Hommes au triangle rose Masques 9 Paris Julian Jackson, Arcadie : sens et enjeux de l'homophilie en France, 1954- 1982 Revue d'histoire moderne et contemporaine Paris Maes Guy et Michel Eric, L'homosexualité révolutionnaire. L'Antinorm répond à Jean Louis Bory Libération novembre 1973. Miles Christopher, Arcadie ou l'impossible Eden La Revue h Paris 1996. [...]
[...] L'analyse des différents documents nous instruit sur un point essentiel : le FHAR fut davantage apte à subvertir les milieux gauchistes et révolutionnaires en général que les instances du pouvoir capitaliste et l'ordre social. Certes en brouillant les catégories du public et du privé, le FHAR fut à même de déstabiliser l'hétéro-normativité sur laquelle est fondé l'ensemble des institutions sociales. L'individu hétérosexuel peut et doit même rendre publique son orientation sexuelle, c'est chez l'homme, un devoir qui découle de l'affirmation nécessaire de sa virilité. [...]
[...] Lucien Farre, L'archaeopteryx et l'homosexuel Arcadie revue littéraire et scientifique, décembre 1960. Voir annexe X Voir annexe XIII. Voir annexe III. Voir annexe IV. Voir annexe VIII. Voir annexe XIV. Eribon Didier, op.cit. [...]
[...] Il a également cherché à subvertir les milieux gauchistes révolutionnaires, ces groupes phalliques hiérarchisés et à en surpasser la praxis marxiste ou maoïste. Ainsi le FHAR, tout comme Arcadie semblent avoir parfaitement maitrisé leur communication et choisit stratégiquement les différents ressorts de leur expression respective afin de réaliser leurs objectifs qui apparaissent diamétralement opposés. Cette tension entre désir d'intégration, droit à l'indifférence, conformisme, désir de résistance, revendication de la différence et volonté subversive, semble avoir traversé toute l'histoire du militantisme homosexuel et persiste encore aujourd'hui au sein des différentes associations gays et lesbiennes. [...]
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