Ce texte frappe par son intensité et son immense teneur en questionnements métaphysiques. Une analyse minutieuse de ces quelques lignes, si elle est correctement effectuée peut nous mener à une compréhension générale de l'œuvre toute entière voire du cheminement opéré par l'écrivain à travers son œuvre ! En effet, ici c'est une expérience unique qui est développée : l'expérience d'une fusion charnelle entre Achab et l'Absolu. Référence de l'auteur à une expérience aliénante antérieure ? Cette fusion que l'on pourrait presque qualifier de sexuelle, représente une homogénéité parfaite entre toutes les dualités de l'Univers. Union entre réel et imaginaire, humain et animal, homme et nature, masculin et féminin… C'est une union parfaite qui nous frappe par son unité imperturbable !
Comment ne pas faire le parallèle avec les androgynes platoniciens, incarnant cette même unité ? Ces créatures mi-homme, mi-femme (ou plus précisément, ni homme ni femme !) incarnaient une puissance indicible, indescriptible. Elles étaient possédées par la force de l'expérience de l'Absolu ; à tel point que Zeus - divinité des divinités - n'eut d'autre choix que de les craindre et de les séparer ! C'est cette même expérience que fait ici Achab (et par son biais, Melville), et c'est ce qui explique sa folie ainsi que les différents points développés ci-dessous.
[...] Quel est le but de cette recherche de l'Absolu ? Achab l'a bien compris : fusionner avec l'Absolu c'est légitimer le sens de sa vie, c'est en originer le sens ; mais l'expérience substantielle du réel ne permet pas l'accès à cette légitimation, elle n'en est qu'une des plus dures étapes ! Melville en fera par ailleurs les frais ; poète maudit de son temps, il ne pouvait que trop bien savoir ce qu'était la dure expérience de la vie : une souffrance intarissable ! [...]
[...] Un monde qui révèle de l'impensable, à tel point que le simple terme de monde, semble fade et imprécis. Quoi qu'il en soit, il demeure qu'il est atteint par une sorte de Transcendance indicible ; il quitte son enveloppe corporelle, la représentation de lui sur terre pour atteindre les méandres de l'originel, légitimer sa pensée. Et cela passe par l'expérience de sa propre mort, Melville nous l'exprime clairement puisqu'il évoque l'agonie d'une lacération corporelle Par la souffrance, il fait l'expérience de la mort ; en effet : l'Originel incarne à la fois la vie et la mort Mais son expérience sera malheureusement interrompue, il n'accèdera pas à cet infini auquel il aspire. [...]
[...] Car ici, Achab désire la baleine, il la désire tellement qu'il ne peut se contenir ; il décide alors de violer la baleine. Il se jette sur elle couteau en main donc armé de son sabre, mais comment ne pas assimiler ici son arme à un virulent chibre voire plus précisément au sien ? Sur ce point, la référence phallique se retrouve tout au long du texte ; le nom même de la baleine est tant évocateur qu'aucun traducteur français ne s'est hasardé à sa traduction ! [...]
[...] Dès la première phrase de cet extrait, Melville nous donne une foule de concepts et d'idées à exploiter. Il évoque une manie ( ) née en lui au moment même de sa mutilation Cette manie n'est autre que sa folie, sa quête profonde ; car comment se résoudre à l'expérience du réel lorsque l'on a expérimenté la fusion avec l'Absolu ? On a l'impression d'un individu maniaque ; au-delà d'une maladie, c'est une véritable obsession qui se trouve en son sein, une maladie au cœur de son être et de son âme dont il ne peut se séparer à aucun instant. [...]
[...] Il tente de luter contre les forces et le désir qui le pousse vers la baleine, mais une fois son arme prête et puissance (à la manière d'un chibre bandé) - à l'air libre nous dirait Pierre Perret il doit se résoudre à s'abandonner à une animosité subite, passionnée et physique Les forces de la Nature, son instinct animal prennent le dessus animosité d'un coup d'un seul, de manière subite On se situe au cœur de l'action, la fusion Absolue, inextricable, puissante ; indicible Ces quelques mots laissent flotter une impression sujette à une interprétation assez dérangeante ; il s'agit bien ici d'un acte sexuel qui se produit : après s'être jeté sur l'objet de son désir avec force et violence, armé de son sabre, il s'abandonne d'un coup d'un seul ; en d'autres termes plus crus : il jouit ! Il assouvit tous ces désirs, tant la force animale qui le pousse, que la force du sentiment, du rêve et de l'âme. Il est passionné ou plutôt, la fusion est passionnée. [...]
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