Le philosophe Francis Bacon louait Machiavel d'avoir présenté, dans son ouvrage Le Prince, 'ce que font les hommes, et non pas ce qu'ils devraient faire'. Dans quelle mesure pensez-vous qu'il serait possible d'appliquer cette remarque au Richard II de Shakespeare ?
[...] Or ce nouvel Adam, quand il expose sa doctrine politique, ne fait aucune référence à Dieu ni au droit divin des rois ni à l'origine divine de leur pouvoir ; aucune trace de théologie dans ses propos, aucune théorie juste quelques idées bien terre-à-terre (j'oserais presque dire "au ras des pâquerettes") sur la bonne gestion d'un royaume : il faut empêcher les jeunes de faire preuve de trop d'exubérance aider ceux qui sont productifs pour leur roi se débarrasser des ambitieux (33-36) et des flatteurs inutiles (37-9). Bref, sa seule idéologie est la survie, et sa théorie politique est du pur Machiavel. [...]
[...] Cette caractéristique est bien sûr encore plus marquée au théâtre : une pièce de théâtre n'est pas un véhicule abstrait, mais présente les idées et les faits à travers des personnages qui leur donnent vie, comme nous l'avons vu. Le théâtre a pour mission de rendre compte de ce qui se fait et non pas de ce qui devrait se faire, mission d'être, comme le déclare Hamlet, le miroir du monde (Hamlet dit que la mission du théâtre est "to hold the mirror up to nature", dans Hamlet .20) Une pièce de théâtre, quel que soit son genre, n'a pas vocation à être normative ni à imposer des lignes de conduite. [...]
[...] Une leçon de pragmatisme 3.1 Le bien et le mal, le juste et le faux sont-ils donc des notions relatives et non pas absolues ? Certes, nous savons tous ce qu'est le bien ; mais Shakespeare place ses personnages et, à travers eux, ses spectateurs dans des situations complexes où les décisions, les attitudes à prendre ne sont plus aussi claires et simples. Richard voudrait bien conserver la couronne et gouverner son royaume de façon efficace mais ses appétits l'amènent sans cesse à transgresser les lois morales ; York, en bon légitimiste, voudrait bien jeter Bolingbroke et sa suite en prison mais comme il ne le peut pas, il se trouve forcé de pactiser avec eux ; Bolingbroke voudrait bien récupérer son titre et ses terres sans s'attaquer au Roi mais c'est justement le Roi qui est l'obstacle qu'il rencontre sur sa voie, et petit à petit son but réel se modifie et se précise Nous venons assister à une représentation de cette pièce avec nos idées toutes faites, avec la théorie sur ce qu'est l'honnêteté, ce qu'est un bon roi, ce que sont la justice et la bonne gouvernance, et la pièce nous place dans des situations où ces idées claires et simples se révèlent être, en fait, simplistes et réductrices, et ne pas nous fournir de solutions claires et univoques. [...]
[...] Pièce historique ou tragédie ? Les conditions de l'édition à l'époque reflètent bien cette dualité, ou cette ambiguïté : publiée sous le titre de "Tragédie" dans les éditions in-quarto, la pièce est néanmoins incluse dans la catégorie des "History Plays" dans l'édition in-folio de Si la pièce développe des idées, il est évident que ces idées abstraites et d'application générale sont néanmoins incarnées par des personnages concrets et spécifiques. La notion de royauté de droit divin n'est pas simplement exposée dans la pièce comme elle le serait dans un manuel de théorie politique, elle est incarnée dans la personne du roi Richard, roi qui se trouve être, peut-être, ou plus ou moins, indigne du pouvoir dont il est investi. [...]
[...] "Ce que les homme devraient faire" est sans doute un idéal de conduite, mais c'est également la recette pour faire du mauvais théâtre : au théâtre, plus qu'ailleurs, l'enfer est pavé de bonnes intentions. "Ce que les hommes devraient faire" n'est pas ce qu'ils font vraiment ; et le théâtre, celui de Shakespeare en particulier, nous assène sans concession la réalité et sa complexité, tout en ne cherchant pas nécessairement à engager notre sympathie envers les personnages idéalisés, comme Gaunt ou Carlisle. Cela signifie-t-il que l'idéal n'existe pas, qu'il n'y a pas d'absolu ? 3. [...]
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