Marcel Gauchet reprend à Max Weber l'expression de « désenchantement du monde » pour lui conférer un sens beaucoup plus large : celui d'épuisement du règne de l'invisible, de disparition du sacré.
L'ouvrage assume consciemment deux postulats qui fondent sa tentative d'esquisser une « histoire politique de la religion » :
- Malgré ou à travers la persistance des institutions religieuses, l'histoire du développement du phénomène religieux à l'intérieur de l'espèce humaine est pour l'essentiel achevée.
- L'originalité de l'Occident moderne tient à la réappropriation au cœur du lien social et de l'activité des hommes du lien sacral qui les a d'abord modelés de l'extérieur. Le livre se consacre à l'étude de la dissolution du religieux dans le social, processus qui est aussi celui du retournement de l'immémoriale emprise organisatrice du religieux sur les sociétés humaines.
Cf. citation de Gauchet : « Si fin de la religion il y a, il faut l'entendre non pas au sens de disparition de la foi, mais au contraire d'une recomposition de l'univers humain – social, non pas seulement en dehors de toute institution religieuse, mais à rebours de sa logique religieuse d'origine. ». Selon Gauchet, en tant que phénomène totalement historique, le religieux n'est pas coextensif à l'histoire de l'humanité tout entière, mais a eu un commencement et est en train de connaître sa fin.
[...] Le moment de l'emprise maximale du religieux sur les humains est celui, dans la religion sauvage, de la coupure entre l'actuel (le présent) et l'originel censé en rendre compte de façon exhaustive et satisfaisante. Chaque individu est coupé de ce qui donne sens et poids à son action (les mythes et les rites), et il ne peut y accéder que par l'intermédiaire du groupe auquel il appartient, à travers des institutions plus ou moins fortement structurées. Il est tributaire, dépendant du groupe, pour accéder au sens de ce qu'il fait et de ce qui lui arrive : le religieux est, selon Gauchet, cette dépendance même. [...]
[...] Le mouvement de sortie de la religion qui s'est amorcé vers 1700 et qui est en passe de s'achever nous dévoile désormais sa nature : l'alignement forcé de l'expérience personnelle et collective sur ce qui, nous obligeant, nous constitue. De cette sortie, en un sens, à nouveau nous sortons. Ce grand remodelage, c'est à l'insu de tous qu'il s'est accompli. Nous l'avons, lui aussi, subi. ( ) Nous en arrivons à percevoir à quelles nécessités sans appel sa traversée nous a fait obéir. [...]
[...] On ne peut parler de fin de la religion qu'en ce sens précis. Il peut fort bien subsister, à la pointe extrême de la modernité l'exemple américain le prouve une foi fervente, et un rôle social de premier plan joué par les diverses églises, qui n'empêche pas que la nature du lien social soit purement profane. Les États-Unis sont un exemple particulièrement frappant parce qu'apparemment il est le plus paradoxal. A l'aide de cet exemple, Gauchet montre qu'il n'y a aucune incompatibilité de fond entre le contenu du message évangélique et le contenu de la modernité (et cause, l'un étant issu de l'autre), à savoir le principe de l'égalité (cf. [...]
[...] Au cours de l'histoire se sont dégagées deux grandes tendances : la première était un compromis entre le maintien de la structure en place et l'intégration de contenus toujours nouveaux, d'où le caractère protéiforme de la divinité ou le panthéon grec puis romain toujours ouvert ; la seconde, ultra marginale au départ née dans le minuscule interstice entre les grandes religions des grandes civilisations environnantes : le monothéisme hébreu, exclusif et intransigeant, appelé pourtant, de façon inattendue, à bouleverser le monde, à terme. L'ouvrage de Gauchet s'attache à suivre le cheminement de cette deuxième voie. II) Le retournement qui donne naissance au monde moderne C'est autour de 1700 que les choses basculent selon Gauchet ; là s'arrête le règne de l'ère proprement chrétienne. [...]
[...] L'opacité que l'homme subissait comme lui étant imposée de l'extérieur, voici qu'elle est devenue sienne. Avec le développement de la psychologie, l'homme découvre que l'opacité et l'obstacle sont toujours là, mais cette fois à l'intérieur de lui et entre les hommes. L'opacité est toujours là, mais à l'intérieur de l'individu lui-même, dans le rapport entre les individus, au cœur même de leur être ensemble, sans garantie extérieure cette fois pour les soustraire au questionnement. En conclusion, selon Marcel Gauchet, C'est dans la mesure où le processus de réincorporation de la transcendance instituante est allé assez loin, est maintenant pour l'essentiel achevé ( ) que nous pouvons commencer à comprendre sa nature et à mesurer l'enjeu devant lequel il nous laisse : la confrontation aux conditions mêmes de l'existence et de la possibilité de l'être avec, du phénomène humain social. [...]
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