« Le sacré se retire dans l'Olympe » affirmait Emile Durkheim en 1912 dans son œuvre Les formes élémentaires de la religion afin de d'exprimer la perte de l'évidence religieuse au fur et à mesure de l'élargissement des connaissances humaines. En effet, si le facteur religieux a été le facteur structurant des relations internationales entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, le développement des idéologies séculaires a par la suite éclipsé ce facteur au profit de la puissance étatique. Cependant, depuis quelques années, de nombreux spécialistes évoquent un « retour du sacré » dans les sociétés contemporaines : le facteur religieux, de par sa re-politisation et sa transnationalisation serait redevenu un paramètre structurant de notre espace mondial. Ainsi, chacune des grandes religions monothéistes auraient connu de profondes mutations permettant leur retour sur la scène internationale. Cette théorie de la réaffirmation contemporaine du facteur religieux a été appréhendée par de nombreux spécialistes à travers l'étude de l'Islam, plus particulièrement de sa composante fondamentaliste : notre espace mondial est caractérisé par un renouveau et une redéfinition de l'islamisme sous la forme du « salafisme jihadiste ». Bernard ROUGIER dans Qu'est ce que le salafisme ?, Olivier ROY dans L'islam mondialisé et Jean-Pierre FILIU dans Qu'est ce qu'Al-Qaïda ?, ont tout particulièrement étudié ce phénomène nouveau. Le croisement de leurs œuvres permet ainsi d'établir les facteurs et caractéristiques de cet islamisme redéfini.
[...] Cette typologie est d'ailleurs reprise, à l'identique, par Jean-Pierre FILIU qui en profite pour en préciser les caractéristiques. Un autre essai de typologie se retrouve dans l'œuvre de Bernard ROUGIER, dans l'article de Samir Amghar, mais il s'agit cette fois-ci d'une typologie interne au salafisme jihadiste : l'auteur distingue en effet le jihadisme islamo-nationaliste qui milite pour le retour d'un Etat islamique hermétique aux concepts occidentaux, le jihadisme internationaliste qui appelle au jihad pour lutter contre l'impérialisme occidental et le jihadisme défenseur des musulmans qui prône un jihad défensif pour secourir les populations musulmanes opprimées. [...]
[...] Ainsi, les trois auteurs mettent en lumière le fait qu'Internet constitue le réceptacle de cet Islam redéfini. Il permet en effet de construire facilement ce rapport individuel à la religion qui caractérise l'Islam contemporain mais également de pallier à l'isolement du croyant qui pourrait résulter de cette individualisation de la religiosité en créant une communauté virtuelle. De ce fait, l'importance de ce vecteur de la mondialisation que constitue Internet est soulignée à de nombreuses reprises dans les trois œuvres : la création d'une communauté virtuelle est un thème phare identifié par les trois auteurs dans la redéfinition de l'Islam contemporain. [...]
[...] Ainsi, les trois œuvres mettent en évidence une redéfinition du courant fondamentaliste de l'Islam. Au-delà de ce constat, Bernard ROUGIER, Jean-Pierre FILIU et Olivier ROY ont isolé des facteurs communs à l'origine de ce phénomène. L'individualisation du rapport au religieux Un phénomène global d'individualisation touchant l'ensemble des religions monothéistes En effet, la première cause identifiée par les trois auteurs afin de justifier la mutation du fondamentalisme islamique est le phénomène d'individualisation du rapport à la religion. Ainsi, Olivier ROY explique qu'un «post-islamisme a succédé aux grands mouvements islamiques classiques enlisés dans leurs contextes nationaux respectifs : il évoque une privatisation de la réislamisation Selon lui, cette construction d'un rapport individuel à la religion s'expliquerait par l'occidentalisation de l'Islam ayant provoqué la perte de l'évidence religieuse chez les populations musulmanes : la reformulation, la reconstruction identitaire de l'Islam à partir de catégories et de valeurs issues de la culture occidentale auraient engendré une réappropriation individuelle de sa foi par le croyant. [...]
[...] Ainsi, ils insistent sur l'essoufflement des mouvements islamistes classiques. Ces grands mouvements qui percevaient l'Islam comme une idéologie politique à vocation internationaliste, se sont enfermés dans un contexte national afin d'accéder au pouvoir étatique. Cette thèse, qui se retrouve dans l'œuvre d'Olivier ROY, est illustrée par des exemples concrets dans la somme d'articles dirigés par Bernard ROUGIER : si ils étaient animés par une conception apolitique et universaliste, les salafismes yéménite (article de Laurent Bonnefoy), koweïtien (article de Carine Lahoud) et syrien (article de Arnaud Lenfant) n'ont pas résisté aux logiques politiques nationales leur permettant d'arriver au pouvoir. [...]
[...] En outre, les trois auteurs mettent en relief le fait que cette individualisation du jihad va de pair avec sa globalisation et sa déterritorialisation dans le contexte salafiste-jihadiste. En effet, Internet est également un moyen de promotion de ce nouveau jihad, ce qui a pour effet d'ouvrir la voie à sa transnationalisation : non seulement les cibles du jihad sont globalisées car peuvent être désormais tout aussi bien être incarnées par des puissances étrangères que par des pouvoirs musulmans non islamistes (qui sont perçus comme des mauvais musulmans mais d'autre part, le territoire du jihad n'est pas défini par un espace fermé par des frontières, mais par tout espace investi d'une valeur religieuse, identitaire ou normative. [...]
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