« Pour la première fois dans l'histoire de la pensée politique en islam, on défendait l'idée que le califat est plus une institution empirique, imposée par des nécessités sociales changeantes, qu'une fonction religieuse dûment définie par des textes sacrés ». C'est en ces termes que le philosophe et historien de l'islam Mohammed Arkoun (1928- ) (1986) souligne la nouveauté de l'œuvre d'Ali Abd El-Raziq : L'islam et les fondements du pouvoir paru en 1925.
La principale qualité de l'auteur, celle qui donne autorité à son ouvrage, est celle d'être un ‘alim et un cadi formé à l'université Al-Azhar. Né à Abou Jirj (Moyenne-Egypte) en 1888 dans une famille de notables provinciaux, il entame et poursuit jusqu'à son bout une carrière classique de lettré traditionnel. Il portait donc le titre de cheikh al-Azhar, qui faisait de lui un membre du corps des théologiens-juristes en charge de défendre l'orthodoxie et l'ordre social islamiques. Il est issu des mêmes rangs que les « docteurs de la foi », soit en quelque sorte un « porte parole » autorisé de l'institution juridico-théologique de l'islam. Néanmoins en même temps qu'il recevait la formation traditionnelle dispensée par l'université Al-Azhar, il fréquentait déjà la nouvelle université égyptienne récemment créée et entrait en contact, à travers quelques orientalistes qui y enseignaient, avec les idées et approches occidentales. Abd El-Raziq s'est également rendu dans une université anglaise en vue de poursuivre des études « séculières » (économie et sciences politiques) et aurait eu alors l'occasion de s'exposer pleinement aux conceptions et méthodes occidentales.
L'auteur est issu d'une famille de riches propriétaires terriens, connue pour son engagement en faveur du courant libéral égyptien. Son père Hassan Pacha Abd El-Raziq, était l'un des fondateurs du parti Al-Umma, puis un des « chefs historiques » du parti des Libéraux-Constitutionnels, créé après la dissolution du premier. Il comptait parmi ses proches Muhammad ‘Abduh (1849-1905) et Lotfi Al-Sayyid (1872-1963) autre grande figure du courant réformisme. L'engagement de la famille en faveur des idéaux réformistes s'exprimait sur d'autres plans. Le frère d'Ali, Mustapha Abd El-Raziq était une devenu un philosophe connu et estimé. Tout comme son frère il a reçu une double formation (traditionnelle à l'université Al-Ahzar et moderne dans une université française) et était à l'avant garde de l'élite intellectuelle de l'époque. Cette élite s'affirmait en faveur d'un dialogue avec l'Occident, de l'ouverture à la raison universelle et de l'adoption des valeurs libérales qui semblaient justement être à l'origine de la puissance et de l'avance de l'Occident.
Or c'est précisément à cette époque que l'Egypte connaît une première expérience libérale avec l'adoption en 1923 d'une constitution malgré les réticences du roi Fouad Ier. Cette constitution se donne pour but de conduire le peuple égyptien au bonheur et au progrès, lui valoir les bienfaits et le bien être dont jouissent les peuples libres et civilisés et lui permettre de tenir la place qui lui revient parmi les nations civilisés. Toutefois si la liberté de conscience est reconnue ainsi que l'égalité des droits civils et politiques, l'islam reste la religion d'Etat. L'expérience libérale égyptienne tourne court lorsque le gouverneur général du Soudan et le chef de l'armée britannique en Egypte, Sir Lee Starck, est assassiné provoquant la démission du gouvernement formé par Saad Zaghloul (1859-1927). Fouad Ier tente alors d'établir son pouvoir. Profitant de l'abolition en 1924 par Mustapha Kemal (1881-1938), il encourage Al-Azhar à demander la convocation d'un congrès islamique pour examiner la question de la désignation d'un nouveau calife. Outre sa prétention à être candidat à cette charge, Fouad Ier profite de son alliance avec les oulémas pour affirmer le caractère religieux de la monarchie égyptienne et donc remettre en cause les principes de la constitution de 1923.
La question califale semble donc sceller le sort de l'expérience libérale que connaît l'Egypte dans les années 20, c'est pourquoi Abd El-Raziq écrit L'islam et les fondements du pouvoir. Dans ce traité, il part du constat que l'origine des pouvoirs du calife est obscure (l. 1 à 58) et s'attache à montrer que la mission prophétique étant strictement religieuse (l. 49 à 171) le califat est nécessairement une institution politique inapte à gouverner au nom de la religion (l. 172-217) et doit être remplacé par un nouveau système de gouvernement basé sur l'expérience et la raison humaine (l. 217 à 226). Dès lors comment l'auteur, au travers de la question califale, démontre t-il que religion et Etat sont deux domaines séparés et en quoi cette démonstration empreinte de réformisme salafiste s'inscrit-elle dans l'expérience libérale que connaît l'Egypte dans les années 20 ? Ainsi nous verrons que l'incapacité des sciences politiques à éclairer l'origine controversée des pouvoirs du calife (I) pousse Abd El-Raziq à s'interroger sur la nature de la mission du prophète en suivant une démonstration quasi-géométrique (II) pour montrer que le califat est une institution politique plus que religieuse et que par conséquent religion et État sont deux domaines séparés (III).
[...] L'Etat est donc régi depuis le VIIe siècle par un système de gouvernement islamique qui n'existe pas dans les faits, un système de gouvernement théorique qui l'empêche d'évoluer selon l'expérience et la raison d'où l'appel de l'auteur à l'édification d'un système de gouvernement plus réaliste L'appel à l'édification d'un système de gouvernement sur la base des dernières créations de la raison humaine et sur la base des systèmes dont la solidité a été prouvée, ceux que l'expérience des nations a désignés comme les meilleurs à 226) Le cheikh d'Al-Azhar appelle les musulmans à détruire (l. 220) le système mis en place par les califes il y a 13 siècles jugé désuet (l. 221) et inadapté aux réalités du monde contemporain. Le système de gouvernement des califes est accusé par l'auteur d'avoir avilis (l. 221) et endormis sous sa poigne (l. [...]
[...] Le cheikh d'Al-Azhar entreprend donc de rechercher l'origine des pouvoirs du calife dans deux doctrines contradictoires Deux doctrines contradictoires La première doctrine défend l'idée que l'origine des pouvoirs du calife est divine : le calife tient son autorité et sa puissance directement de Dieu (l. 14-15). Le système de gouvernement se base donc sur la souveraineté divine dans la mesure où Dieu délègue une partie de ses pouvoirs au calife lui-même représentant de l'Apôtre de Dieu (l. La seconde doctrine quant à elle considère que le calife procède d'un consensus (ijma') entre les croyants : le calife tient son pouvoir de la communauté (umma), qui le désigne et lui confère sa puissance (l. 17-18). [...]
[...] La question califale semble donc sceller le sort de l'expérience libérale que connaît l'Egypte dans les années 20, c'est pourquoi Abd El- Raziq écrit L'islam et les fondements du pouvoir. Dans ce traité, il part du constat que l'origine des pouvoirs du calife est obscure à 58) et s'attache à montrer que la mission prophétique étant strictement religieuse à 171) le califat est nécessairement une institution politique inapte à gouverner au nom de la religion (l. 172-217) et doit être remplacé par un nouveau système de gouvernement basé sur l'expérience et la raison humaine à 226). [...]
[...] 122-123) Dès lors si le message divin a été transmis dans son intégralité et que le Hadith ne fait pas mention d'une volonté chez le prophète de fonder un Etat il ne fait aucun doute pour le cheikh d'Al-Azhar que Muhammad était uniquement un message de Dieu (p. 122-123) et par conséquent il ne fut ni roi, ni fondateur d'empire ni un prédicateur attelé à l'édification d'un royaume (l. 129-131). Il semble donc normal que le prophète n'ait pas fait allusion au problème de sa succession (l. [...]
[...] De par sa main mise sur la prédication il est probable selon le cheikh d'Al-Azhar que le calife ait eu le plus grand effet sur la prédication elle-même (l. 191-192). L'auteur ajoute qu'il a exercé une influence considérable sur l'évolution et la transformation de l'islam depuis lors à 194) faisant sans doute référence à l'utilisation par les califes du jihad comme d'un instrument de conquête : La guerre sainte se fait plutôt pour raffermir le pouvoir institué et pour étendre les royaumes (l. [...]
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