Quelles sont les origines de l'ordre légal ? Est-il légitime de se poser cette question ? Zizek reprend Kant, dans sa Métaphysique des mœurs, qui précisément interdit cette démarche pouvant mettre en évidence la violence illégitime à la source du pouvoir légal. Il convient, afin de saisir l'argumentaire de Zizek, de citer le passage incriminé qui, en l'occurrence, se trouve au début de la Remarque générale sur les effets juridiques résultant de la nature de l'union civile : « l'origine du pouvoir suprême est, pour le peuple qui s'y trouve soumis, inexplorable au point de vue pratique, c'est-à-dire que le sujet ne doit pas discuter activement de cette origine comme s'il y avait là un droit susceptible d'être encore controversé (jus controversum) quant à l'obéissance qu'il doit à ce pouvoir. Car, dans la mesure où le peuple, pour porter un jugement qui ait une validité juridique sur le pouvoir suprême de l'Etat (summum imperium), doit déjà être considéré comme uni sous une volonté légiférant universellement, il n'a ni la possibilité ni le droit de juger autrement que ne le veut celui qui est à ce moment le chef suprême de l'Etat (summus imperans). Quant aux questions de savoir si un réel contrat de soumission à celui-ci (pactum subjectionis civilis) a originairement précédé, sous la forme d'un fait, ou si c'est le pouvoir qui a précédé et si la loi n'est intervenue qu'ultérieurement, ou encore s'ils auraient dû suivre dans cet ordre, ce sont là pour le peuple, qui est maintenant d'ores et déjà soumis à la loi civile, des ratiocinations entièrement vaines et de nature, en tous cas, à mettre l'Etat en péril ; (…) Une loi qui est si sacrée (inviolable) que, d'un point de vue pratique, c'est déjà un crime que de simplement la mettre en doute, par conséquent d'en suspendre un instant l'effet, est représentée comme si elle ne pouvait provenir des hommes, mais uniquement de quelque suprême législateur infaillible, et c'est là ce que signifie la proposition : « Toute autorité vient de Dieu », qui n'énonce pas un fondement historique de la constitution civile, mais une Idée comme principe pratique de la raison – savoir que l'on doit obéir au pouvoir législatif actuellement en place, quelle qu'en puisse être l'origine. »
[...] Ceci est dans les choses la base insaisissable de la réalité, le reste qui n'éclôt jamais, ce qui ne se laisse pas résoudre dans l'entendement, même avec le plus grand effort, mais demeure éternellement dans le fondement. C'est de cela qui est dépourvu d'entendement, qu'est né, au sens propre, l'entendement. Sans cette obscurité antécédente, il n'y a pas de réalité de la créature. Les ténèbres sont sa part naturelle d'héritage.[39] L'Ordre est donc non seulement possible grâce au chaos originaire mais il est lui-même Désordre suprême en ce qu'il impose par la violence, en tant qu'Idéal, son ordre au Réel[40]. [...]
[...] Zizek donne de nombreux exemples pour expliciter les notions de contraction et d'expansion, notamment ceux de la langue (dont il dit qu'elle constitue le paradigme de toute institution) et de l'amour : notre pensée n'est vraiment libre et ne peut déployer sa puissance d'expansion que lorsqu'elle a assimilé, contracté les règles grammaticales nécessaires à sa formulation linguistique (si elles ne sont pas intégrées, la pensée bute ces règles et n'est plus expansive). Quant à l'amour, sa puissance d'expansion (universelle) est d'autant plus grande qu'un objet particulier est au préalable contracté et aimé plus que toute autre chose. Zizek, Essai sur Schelling, p.46. Zizek, Vous avez dit totalitarisme p.61. [...]
[...] à la question que veut Dieu ? Zizek, Essai sur Schelling, p.65. D'une manière générale, il semble que tout être qui ne peut plus se contenir ou se contracter en sa propre plénitude, contracte hors de soi ; c'est à ce phénomène que se rattache, par exemple, cette grande merveille qu'est la formation du mot dans la bouche, ce qui constitue une véritable génération de l'Intérieur empli, quand celui-ci ne peut plus demeurer en lui-même. F.W.J. Schelling, Les Ages du Monde, op.cit. [...]
[...] Cité par Zizek dans Essai sur Schelling, p.16. Nous abordons ici la dimension proprement théologique dans l'œuvre de Zizek que nous retrouverons en filigrane tout au long de cette étude. L'usage de la théologie a pour lui une fonction explicative dans le sens où elle nous permet de cerner entre autres le Sujet (ou l'Autre) assimilé à Dieu ou encore l'inconscient (structuré comme un langage, d'où l'attention portée au Verbe, qui plus est lorsqu'il se fait chair), mais aussi une fonction normative lorsqu'il voit dans l'acte religieux, l'amour ou l'universalisme de Paul des éléments chrétiens révolutionnaires. [...]
[...] (Zizek, Le sujet qui fâche, p.258). Voir Jacques Rancière, La Mésentente, Paris, Galilée Zizek, Le sujet qui fâche, p.251. Zizek ici considère que les sociétés préétatiques ne connaissent pas le conflit politique au sens démocratique du terme : On voit bien pourquoi les sociétés tribales, préétatiques, avec toutes leurs procédures protodémocratiques pour décider des questions communes (rassemblement de tous, délibération commune, discussion et vote, etc.), ne sont pas encore démocratiques : non parce que la politique en tant que telle implique une auto-aliénation de la société non parce que la politique est la sphère qui s'élève au-dessus des antagonismes concrets de la société (comme le prétendrait l'argument marxiste habituel) mais parce que, dans ces rassemblements politiques tribaux, manque encore le litige du paradoxe proprement politique de l'universel singulier, de la "part des sans-part", qui se présente comme un substitut immédiat de l'universalité en tant que telle. [...]
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