Nombre d'auteurs ont pu distinguer entre deux sentiments de sécurité, l'un sinon justifié du moins souhaitable, l'autre au contraire dangereux : Spinoza, par exemple, a tenu deux discours selon qu'il dissertait sur l'éthique ou sur l'autorité politique. Ce sentiment de sécurité dangereux, il guette également le croyant, homme de foi et d'espérance qui doit toujours poser ses choix de vie dans la perspective d'une eschatologie certaine, eschatologie qui, selon les époques, a pu tout à la fois signifier sécurité ou peur, selon qu'elle renvoie à la notion de millénarisme ou à celle du jugement dernier.
Ainsi, pour Jean Delumeau, le sentiment de peur dans l'Occident d'autrefois (analysé du 13e au 18e siècle) serait pour beaucoup tributaire d'une vision eschatologique chrétienne. Plus précisément, dans son ouvrage consacré à la Peur en Occident, il est amené à distinguer deux sortes de peur : les « peurs spontanées » d'une part (peur de la mer, des revenants…), les « peurs réfléchies » d'autre part, découlant d'une réflexion sur la nature du malheur et de la précarité de l'existence humaine. Seule la deuxième acception nous intéresse ici en tant qu'elle marque le passage de la superstition à la théologie, qu'elle dissocie vie de l'imagination et vie de l'Esprit. Il faut préciser que l'on touche ici aux limites de l'analyse de J. Delumeau comme appui au présent travail. C'est que l'auteur y développe pareillement les « peurs spontanées » et les « peurs réfléchies », l'articulation entre les deux posant le problème des motivations de la vie spirituelle : prier Saint Roch en temps de peste diffère absolument de la pratique des Exercices spirituels de Saint Ignace, dans la mesure où la puissance (ou vengeance) manifeste de Dieu ne se pose pas pareillement comme motivation à la vie spirituelle du saint, dans la mesure, autrement dit, où il s'agit de distinguer extériorité et intériorité de la vie religieuse. L'intériorité seule témoigne de la vie de la foi telle qu'elle nous intéresse ici, comprise comme pratique de la vie contemplative et comme réflexion sur la tension apparente entre l'amour du monde et la nécessité de mourir au monde.
Ce terme de « monde » possède en outre deux acceptions différentes, comme le souligne également J. Delumeau dans un autre de ses ouvrages Le péché et la peur , distinction qu'il s'agit également d'évoquer au début de notre étude par souci de clarté. Il peut s'agir du règne de Satan, le « prince de ce monde » du Nouveau Testament ou alors de l'humanité avec la terre qui lui est liée (on est alors dans le registre de la rédemption et non de la condamnation). Le drame du Moyen-Âge est peut-être la focalisation sur la première acception, au risque d'oublier la seconde, ce qui invite résolument à donner aux ouvrages de Jean Delumeau leur juste place pour le sujet ici traité. Ces deux acceptions doivent être évoquées : non exclusives, leur rencontre, au contraire, et nous le verrons, est un principe dynamique d'insécurité.
On a pu voir dans l'entreprise de sécularisation telle qu'elle a eu cours en Occident chrétien dès la fin du 18e siècle la volonté de rétablir la raison dans ses droits, bannissant du même coup le concept de crainte en invitant l'homme à prendre son destin en main. L'homme moderne ne supporterait plus que tout soit laissé à l'aléatoire – ou à son succédané religieux, la Providence –, que tout ne soit pas « sécurisé ». Et de fait parler de la sécurité et de la figure du croyant c'est mettre à l'honneur des notions telles que l'Esprit Saint, la Grâce de Dieu et nombre d'autres attributs divins (amour, miséricorde, justice, etc.), ou encore la foi et l'espérance qui, si elles sont dans une perspective religieuse les critères de vérité essentiels , ne disposent dans la raison que d'un appui sinon imparfait, du moins incomplet.
Pour le croyant, la foi serait-elle un gage absolu de sécurité ? La sécurité sera ici définie comme la situation où l'on n'a aucun danger à craindre, en même temps que la tranquillité d'esprit qui en résulte. L'insécurité exprimera la situation et le sentiment contraires. Mais la foi n'est pas tout, il faut lui ajouter l'espérance. Le croyant est alors confronté à une autre difficulté : il n'est que de passage sur la terre et de la manière dont il aura mené sa vie sur terre dépendra celle dans l'au-delà. Dévaluation du monde d'ici-bas ? Invitation à ne pas se complaire dans un repos terrestre nécessairement illusoire, sinon dangereux ?
On perçoit le problème auquel est confronté le croyant, son « paradoxe » pourrait-on dire, terme qui en soi est déjà le signe d'une insécurité : peut-il légitimement vivre en sécurité ici bas alors qu'il aspire déjà à un état supérieur, et même absolu, de sécurité qu'il ne peut connaître avant sa mort ? Bien plus, doit-il seulement souhaiter vivre en sécurité dès à présent ? Toute quiétude présente n'est-elle pas dangereuse dans la mesure où le croyant pourrait se complaire dans un bonheur illusoire et vain ?
[...] L'un celui du Christ, notre souverain capitaine et Seigneur ; l'autre, celui de Lucifer, mortel ennemi de notre nature humaine. Composition : Voir un vaste camp dans toute la région de Jérusalem, où le souverain capitaine général des bons est le Christ notre Seigneur. Un autre camp dans la région de Babylone, où le chef des ennemis est Lucifer. Colloque. À Notre Dame, afin qu'elle m'obtienne de son Fils et Seigneur la grâce d'être reçu sous son étendard : 1. [...]
[...] [ ] Il s'agissait bien d'une ouverture théologique rassurante pour les pécheurs ordinaires. Mais le discours ecclésiastique sur le purgatoire eut tôt fait de le pervertir. Non seulement il ne diminua pas l'insistance de la pastorale sur l'enfer, dans le cadre d'une croyance quasi générale de l'Église enseignante au petit nombre des élus ; mais il présenta de plus en plus le purgatoire comme un enfer provisoire où les supplices décidés par un Dieu vengeur ne différaient que par leur durée non éternelle de ceux dont sont punis les damnés. [...]
[...] Saint Ignace dans les Exercices spirituels propose un certain nombre de pistes pour la pénitence, la mortification de la chair n'arrivant qu'en troisième position : 1ère manière : touche la nourriture. 2ème manière : touche au régime du sommeil. 3ème manière : châtier la chair[46] Il faut causer la douleur, non la maladie. Renoncer à soi-même est toujours l'occasion d'accueillir davantage la vie de l'Esprit, ces renoncements n'ayant pas la mortification de la chair comme unique moyen d'expression. Finalement, tout comme on peut renoncer au monde sans pour autant jeter l'anathème sur la création, de la même manière peut-on pratiquer l'ascèse sans se détruire. [...]
[...] S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et la mort sur une croix ! Aussi Dieu l'a-t-il exalté.[14] Le Christ, dans le mouvement kénotique, se dépouille de la gloire qui devait rejaillir de sa personne divine sur son humanité, partage les faiblesses de l'homme sauf le péché, mais révèle dans cet abaissement l'amour du Père auquel il obéit volontairement. Il faut se vider de soi- même (kénose, litt. en grec : se vida lui-même) pour pouvoir être ensuite rempli de la vie de l'Esprit. [...]
[...] À l'opposé de la spéculation rationaliste, elle [la foi] résulte d'un saut, elle est un risque puisqu'elle surgit au sein d'un paradoxe qui se manifeste dans la coexistence du temps et de l'éternité.[54] L'absurde, le paradoxe est d'une texture telle que la raison ne peut par elle-même le dissoudre en non-sens ni montrer que c'en est un ; non c'est un signe, une énigme, une énigme de structure dont la raison doit dire : je ne peux la résoudre, elle n'est pas à comprendre, mais de là ne s'ensuit pas que c'est du non-sens.[55] L'insécurité est celle que procure le paradoxe. Mais, révèle Kierkegaard en substance, la raison est connaissance négative du paradoxe, pas plus. La raison humaine a des bornes, c'est là que se situent les concepts négatifs. Pour S. Kierkegaard, vouloir spéculer par la raison au sujet de la foi est un malentendu, et à la limite plus on va loin sur ce chemin, plus l'erreur qu'on commet est grande. [...]
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