Signe d'un changement social dans cette France viscéralement attachée à la laïcité, l'anthropologue Clifford Geertz peut proclamer au XXIe siècle que la religion est bien un sujet d'avenir dans un article du Monde. Depuis quelques années, on observe en effet un regain d'intérêt inattendu pour les pratiques et les croyances religieuses, contredisant le mouvement de sécularisation prophétisé dans les années à la fin du XXe siècle. Et si la religion interpelle avec autant de force, c'est qu'elle (re)devient une question cruciale et fiévreuse (contestation de la laïcité en France, coloration religieuse des politiques et des tensions internationales).
Quelle définition peut-on proposer de la religion ? Interrogée au singulier dans le sujet, nous l'entendons comme fait social par delà la diversité de ces manifestations concrètes. Religare signifie lier, relier. Cette liaison est double unissant à la fois l'homme au sacré, au « tout autre » (R. Otto), mais aussi les hommes entre eux. Parler de la religion en France, c'est encore faire référence au catholicisme, c'est-à-dire la religion longtemps ultra majoritaire, et qui reste encore dominante d'une courte tête. Notre définition occidentale de la religion va alors de pair avec une institutionnalisation du sacré: que serait, par exemple, le catholicisme sans le Vatican et son clergé ? Cela influence notre perception du phénomène comme le souligne Régis Debray : « cette catégorie [la religion] procède d'une nomenclature latine, projetée par la suite sur toutes les latitudes et toutes les époques. »
Et qu'est ce que l'avenir auquel la religion serait amenée, ou non, à prendre part ? Depuis la Révolution industrielle, l'avenir des sociétés européennes est étroitement lié à la notion de modernité. Or, la modernité est une rupture avec le passé, en permettant l'émancipation vis-à-vis des traditions et des doctrines d'une culture « traditionnelle ». De ce point de vue, les religions « traditionnelles » ont été regardées comme incompatibles avec cette évolution.
Alors, y a-t-il une « fin de l'histoire » pour la religion ou bien est-elle au contraire un sujet d'avenir ? La religion est-elle « reléguée » dans la sphère privée ou assiste t-on, au contraire, à son retour dans la vie collective ? L'Europe sécularisée n'est-elle pas une exception dans le monde ? Si la religion est revenue au cœur des affaires de la Cité, s'agit-il pour autant du retour des mêmes systèmes de croyances qu'autrefois ?
[...] Dieu, mort en Occident ? La religion reléguée par le mouvement de l'histoire Ce mouvement de sécularisation s'observe en Occident, espace longtemps vécu ou regardé comme le parangon de la modernité. L'analyse d'une sortie de la religion traduit une conception linéaire de l'histoire, avec un sens à suivre, vision héritée de l'histoire positiviste et des Lumières. Cette théorie de la sécularisation fut longtemps partagée par l'ensemble des sciences humaines, fait rare révélateur de l'unanimité du constat. Elle fournit une clé d'explication intellectuelle des mutations culturelles de l'Europe et apporte une réponse à l'ébranlement des religions chrétiennes depuis le XIXe siècle, même si la situation semble plus controversée actuellement. [...]
[...] D'autre part, le recul de la religion, principalement chrétienne, aux XIXe et XXe siècles a-t-il été synonyme d'absence de cultes collectifs ? Les régimes politiques, pourtant distincts de la sphère religieuse, n'ont-ils pas constitué eux-mêmes des formes nouvelles de religion par un transfert de sacralité ? Il y a incontestablement des croyances nécessaires à la légitimité des régimes politiques. Ces croyances politiques s'organisent en religion civile à l'époque contemporaine, période qui marque le début du déclin des religions traditionnelles. C'est frappant pour les régimes totalitaires[7]. [...]
[...] Depuis la Révolution industrielle, l'avenir des sociétés européennes est étroitement lié à la notion de modernité. Or, la modernité est une rupture avec le passé, en permettant l'émancipation vis-à-vis des traditions et des doctrines d'une culture traditionnelle De ce point de vue, les religions traditionnelles ont été regardées comme incompatibles avec cette évolution. Alors, y a-t-il une fin de l'histoire pour la religion ou bien est-elle au contraire un sujet d'avenir ? La religion est-elle reléguée dans la sphère privée ou assiste-t-on, au contraire, à son retour dans la vie collective ? [...]
[...] II) D'un monde religieux, l'autre : les mutations du croire Le religieux, sujet transhistorique ? Au début du XXe siècle, R. Otto interprète notre rapport au sacré par le numineux, la quête du tout autre, comme un sentiment universel. Depuis quelques années, les sciences du cerveau ont mis au jour le rôle du cerveau dans l'activation de croyances, confirmant l'analyse du religieux comme comportement transhistorique, le croire étant en quelque sorte un effet secondaire du fonctionnement cognitif. Les découvertes de la science modifient donc notre rapport avec la religion. [...]
[...] Michel De Certeau a analysé ces nouveaux rapports à la foi et à la désinstitutionnalisation du religieux dans La faiblesse de croire. La croyance est toujours présente, mais elle échappe au contrôle des institutions religieuses. De Certeau met le doigt sur la dissémination du corps chrétien, l'errance et le flottement : le christianisme n'est plus un corps, c'est un corpus constate-t-il. L'individu se fabrique alors un système de croyances avec des emprunts dans différentes religions. La certitude religieuse -la vérité- apparaît inaccessible. C'est davantage la quête existentielle qui est cœur du rapport au sacré que le respect des traditions. [...]
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