En 1924, le cheikh Ben Badis, qui enseigne l'Islam à Constantine et est issu d'une vieille famille aisée de cette même région, se met en rapport avec ses collègues et amis pour créer une « Fraternité intellectuelle » qui aurait pour but d'harmoniser leurs efforts en matière d'enseignement arabe, mais pour unifier également leur doctrine religieuse. Il lance en novembre 1925 une revue savante mensuelle en langue arabe, el-Chihâb (Le Météore), dont nous avons ici un extrait, et dans laquelle il constitue virtuellement l'acte de naissance de la future Association des Oulémas qui suscite déjà de nombreuses adhésions. C'est la célébration triomphale du centenaire de la présence française en Algérie, en Mai-juin 1930, qui convainc les réformistes de fonder un parti religieux capable d'affronter les problèmes de l'Algérie contemporaine : le 5 mai 1931 est déclarée l'Association des Oulémas musulmans algériens, avec Ben Badis pour président et « instruisez-vous ! » comme mot d'ordre. L'Association permit la création d'écoles consacrées à l'étude de la langue arabe et les oulémas se placèrent alors comme les guides de la nation algérienne pour la conseiller et la diriger. L'apolitisme des réformistes des débuts, qui ne cherchaient qu'à réformer les mœurs et la religion des musulmans algériens, fit place après 1931 à un mouvement revendicatif musulman qui exprimait les aspirations du peuple musulman, sans pourtant vouloir remettre en question le cadre français, en tout cas avant le 1er Congrès Musulman algérien en juin 1936 (dont l'idée avait été lancées par Ben Badis dès le mois de janvier).
Cet extrait d'un article du journal el-Chihâb est paru en avril 1936, en pleine période d'apogée du mouvement Oulémas, alors que le courant réformiste était en passe de devenir le parti le plus populaire et avait pris conscience de son enracinement après le 1er Congrès du mouvement réformiste algérien de septembre 1935. Cette prise de conscience fut déterminante puisqu'à partir de ce Congrès, les réformistes s'érigèrent en porte-parole exclusifs de la communauté musulmane et un glissement s'opéra de la propagande réformiste vers le domaine politique. La dégradation de la situation politique française au début de l'année 1936 (chute du gouvernement Pierre Laval), et la victoire attendue du Front Populaire aux élections législatives qui devaient se dérouler à la fin du mois d'avril encouragèrent les réformistes à s'engager dans la vie politique algérienne.
Alors, comment s'affirme le nationalisme réformiste à travers ce texte ? Quelles en sont les grandes lignes directrices et les particularités ?
Nous verrons dans un premier temps que cet article constitue un refus absolu de l'assimilation de l'Algérie avec la France, puis qu'il constitue un acte fondateur dans la mise en place d'une définition des composants de la personnalité algérienne, et que finalement, les réformistes distinguent nationalité algérienne et nationalité politique française et se pensent donc encore dans le cadre colonial.
[...] I - Une réponse à Ferhat Abbas : le refus de l'assimilation L'extrait de la Déclaration nette des oulémas se présente comme une réponse à l'éditorial de Ferhat Abbas, conseiller général de Sétif, du 27 février 1936 paru dans le journal L'Entente franco musulmane, organe de la Fédération des élus des musulmans du Département de Constantine. Il avait lui-même rédigé cet éditorial en réponse à un article du journal métropolitain Le Temps qui accusait les mouvements algériens de susciter l'agitation politique. [...]
[...] Les habitants de l'Algérie forment pour les réformistes un peuple homogène, né de l'histoire qui est celle d'un brassage des éléments arabes et berbères. Or, l'Algérie est parcourue par une pluralité de dialectes, mais cette unité linguistique avancée dans la Déclaration nette se place sous le signe de la langue du Coran. C'est le sentiment de solidarité islamique qui doit être le ciment entre les différences appartenances ethniques, Arabes et Kabyle, et qui participe pleinement à la cohésion du peuple musulman algérien. [...]
[...] L'indignation des réformistes fut grande puisque cette décision faisait ressortir que la langue arabe devait être considérée comme une langue étrangère. Loin de déstabiliser le mouvement, cette mesure confirma l'engagement des réformistes : l'assimilation avec la France ne pouvait mener qu'au gommage des attributs de la nation algérienne et en premier lieu de sa langue, l'arabe, qui n'était enseignée plus qu'à l'initiative des collectivités et des individus, rarement à celle de l'Etat, grâce également aux séminaires ruraux, aux écoles de village attenant à chaque mosquée et aux médersas urbaines (c'est-à-dire les institutions privées d'éducation islamique : les écoles coraniques). [...]
[...] Ainsi, pour les oulémas, représenter la nationalité algérienne signifiait avant tout défendre la personnalité arabo-islamique. Si l'histoire est une des caractéristiques de la nation algérienne, il s'agissait alors de doter le peuple musulman d'ouvrages d'histoire de leur pays en langue arabe, d'une histoire pré-française. Dès 1929, Al Moubarak Al Mili rédigea une Histoire de l'Algérie dans le passé et le présent et dédiait son livre au peuple algérien. Plus remarquable encore est l'Histoire de l'Algérie, de Tewfiq al Madani, parue en 1932, et où il insistait sur l'originalité du peuple algérien et exhortait les jeunes à se rappeler la grandeur du passé africain. [...]
[...] L'Islam est ma religion, l'arabe est ma langue, l'Algérie est ma patrie : le célèbre triptyque résume la pensée politique du Cheikh Abdelhamid Ben Badis. Un «Cheikh est en fait un titre honorifique attribué aux grands défenseurs de l'Islam; c'est donc, en quelque sorte, la traduction de sage En 1924, le cheikh Ben Badis, qui enseigne l'Islam à Constantine et est issu d'une vieille famille aisée de cette même région, se met en rapport avec ses collègues et amis pour créer une Fraternité intellectuelle qui aurait pour but d'harmoniser leurs efforts en matière d'enseignement arabe, mais pour unifier également leur doctrine religieuse. [...]
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