Les premières images ont des fondements religieux. C'est vrai dans l'Antiquité païenne, mais plus encore dans l'ère chrétienne où le dogme de l'Incarnation ouvre à l'Occident la voie royale des images que se sont interdites les deux autres religions du Livre, le judaïsme et l'islam.
Mais avant ces « évènements de dernière minute », avant les cryptes, les Gorgones et la Vierge, il y a eu les grottes, l'ours et le cheval. L'Homo sapiens a plus de cinquante mille ans et il est plus âgé que Dieu, qui n'en a pas cinq mille.
C'est en effet l'ours qui fut au début de l'image. On le retrouve dans les grottes ornées de Chauvet-Pont-d'Arc, en Ardèche, découvertes en 1994, ou dans celle de Lascaux, deux fois plus jeune qu'elle avec ses dix-sept mille ans.
Dès le départ, on retrouve le même schéma des lieux sacrés. C'est dans une cavité que l'on retrouve les dessins de la protohistoire, comme plus tard dans les édifices ce sera dans l'alvéole et l'alcôve que l'on enfouira les biens les plus précieux dans des hypophages, cryptes et sarcophages. C'est la même progression graduée du porche large au plus étroit boyau. On loge au plus profond le plus significatif. Jusqu'au mont Valérien ou au Panthéon. L'exigu, en sous-sol, est le lieu où seul l'initié a ses entrées : il en va du sorcier comme du prêtre ou du président de la République. Cela rappelle le pubis et la vulve féminine.
[...] La civilisation de l'image a été la plus conquérante de la planète. On lui doit la dictature du visuel sur la pensée, et sur l'image elle-même. Hollywood naît en 787 près de Constantinople, en Asie Mineure, au deuxième concile de Nicée. Les Pères conciliaires stipulent que n'est pas idolâtre celui qui vénère les icônes de la Vierge, du Christ et des saints parce que l'hommage rendu à l'icône va au prototype De là naît l'icône byzantine ou orientale qui a pu tenir bon face aux assauts sanguinaires des ennemis des images, les iconomaques ou iconoclastes très nombreux à la Cour et à l'armée de l'empereur. [...]
[...] Elle a à voir avec l'amour parce qu'elle appelle une présence. Elle implique la personne tout entière. La vision élève, le regard ravit. Les Jésuites, soldats de Dieu, mobilisés par la Contre-Réforme, ont poussé les feux de l'imagination sensible. Notre méprise, face aux reproductions d'image religieuses : les prendre pour des œuvres d'art. C'est, jusqu'à la Renaissance tout au moins, un anachronisme. L'art vient à l'image au moment où les usages collectifs autorisés, dévotionnels, didactiques et commémoratifs se privatisent en plaisir égoïste, comme un chacun pour-soi du regard. [...]
[...] Le rigorisme ne se partage pas. La liberté de peindre et d'aimer a le même sort. Partout où les effigies sont détruites, les musées des beaux-arts fermés ou pillés, les femmes sont enfermées ou voilées. C'est pourquoi le culte de Marie a été tellement lié au destin de l'image. La Vierge est mille fois plus présente dans l'illustration que dans le texte des Évangiles. Les Actes des Apîtres ne disent pas un mot de la mère du Seigneur. C'est une simple et sainte femme, Véronique, qui recueille le premier portrait du Christ en lui essuyant le visage sur le chemin du Golgotha. [...]
[...] Le Christ médiatise les termes opposés : créateur et créature, Esprit et matière, exactement comme le fait l'image. L'un et l'autre à la croisée du spirituel et du charnel. Le Fils est l'image visible du Père, lequel est l'invisible du Fils. Si Dieu n'a pas jugé impie de prendre l'aspect d'un corps matériel et humain, il n'est donc pas impie de produire une image matérielle et humaine de Dieu, du moins à travers son Fils. Dieu toujours plus humain à travers l'image. Homme toujours plus divin. Plus humain, le Christ, et toujours plus mêlé au beau sexe. [...]
[...] Jusqu'à Giotto, l'or n'est pas une couleur, mais le rayonnement actif du corps même du Christ et de la Théotokos. Le goût, la délectation, le plaisir esthétique ne sont pas encore de la partie. Comme disait Grégoire Palamas, mort en 1359, il s'agit de devenir soi-même lumière. Quand saint Thomas fait une théorie du Beau, ce n'est pas ce que nous entendons aujourd'hui par ce mot, une création humaine. C'est un attribut de Dieu, la splendeur de sa vérité, la face extérieure et visible de sa réalité intelligible, avec tous les caractères de la perfection intellectuelle : intégrité, proportion, clarté, harmonie, moins les fastes de l'imaginaire et la patte ou le style reconnaissable entre tous d'un artiste. [...]
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