Soulever un tel problème peut sembler, pour un esprit peu réfléchi, bien polémique. En effet, force est de constater qu'au regard de l'actualité au Proche-Orient, créer un débat serein sur le judaïsme ou le peuple Juif ne peut se faire tant les sensibilités se voient prêtes à bondir au simple mot « Juif ». L'opinion publique elle-même tend à faire du champ religieux un domaine purement communautaire que l'on ne saurait violer par une réflexion désormais perçue comme une agression : le principe de précaution nous inviterait dès lors à rejeter le questionnement, la curiosité au nom d'affects déraisonnés. Si notre prétention dans ces quelques pages n'est pas de philosopher, nous ne saurions oublier le mot du philosophe Allemand Friedrich Nietzsche : « philosopher, c'est nuire à la bêtise ». Notre objectif ici en essayant de voir en quoi être Juif, c'est précisément être étranger, n'est absolument pas d'entrer dans la polémique en frappant d'anathème un peuple Juif qui serait incapable de cohabiter avec des individus d'autres cultures, mais d'étudier en quoi le judaïsme lui-même, et non une haine de l'étranger de la part d'individus, haine dont ne saurait être accusée une communauté entière, peut faire du Juif intemporel et universel un étranger : qu'il soit Marocain, Polonais ou Français, le Juif reste, l'Histoire mais également le quotidien le montre, un citoyen à part qui, croyant ou non, est toujours considéré comme appartenant à une communauté. Sartre lui-même affirmera dans Réflexions sur la question juive : « Le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour Juif : voilà la vérité simple dont il faut partir. »
Il importe ici de rappeler les deux principales définitions du terme « étranger » qui guideront notre réflexion au cours de cet exposé. Est étrangère d'abord la personne qui n'est pas ressortissante d'un Etat pris en référence : le Juif est en effet, jusqu'à la création de l'Etat d'Israël en 1948, un homme sans terre, destiné à l'exil par la parole divine (« Je vous disperserai parmi les nations » Lv, 26, 33). Mais le terme d'étranger peut avoir un sens encore plus fort lorsqu'il désigne une personne non intégrée à un milieu social donné, à un groupe : ici le fait d'être étranger n'est plus lié à la terre ou au sang, mais à un particularisme subjectif qui, nous le verrons, est particulièrement fort chez les Juifs, au point même de devenir une exigence. Cela explique toute la force du mot « précisément » employé dans le libellé de la question : cela nous invite à voir que loin de n'être que le fruit des vicissitudes de l'Histoire, ce statut d'étranger pour le Juif fait partie intégrante de sa religion et relève plus du principe que de la fatalité.
Le problème est donc soulevé, et le lecteur averti. Mais cela ne retire rien à la complexité de la question et du choix de la démarche à suivre : il s'agit de ne pas s'enferrer dans des considérations exclusivement théologiques qui ne sauraient déboucher ailleurs que sur un débat abscons, et plus encore de ne pas se limiter au champ historique et à un exposé descriptif. Nous ne sommes ni casuistes, ni archéologues, et notre objectif est de montrer que les fondements de notre culture ou de nos religions sont sujets à la réflexion. Cette réflexion n'a pas pour objet de dépoussiérer ou de vulgariser des mythes séculaires mais de montrer que ceux-ci sont incarnés par des individus qui les font vivre et évoluer. C'est pourquoi les domaines de réflexion mentionnés quelques lignes plus haut doivent s'additionner pour permettre de comprendre les problématiques contemporaines. Voir en quoi les principes religieux immémoriaux du judaïsme s'inscrivent dans une Histoire et se perpétuent à travers des individus dont les conditions de vie et les questionnements changent est notre exigence : il serait insuffisant de voir en quoi les préceptes de la Torah seuls peuvent nous aider à répondre à notre question alors que la création de l'Etat d'Israël et le nouveau visage de l'idolâtrie confrontent le Juif du XXIe siècle à de nouvelles problématiques. Les grandes traditions intellectuelles représentent donc un terreau pour notre réflexion dont l'ambitieux et gratuit objectif est de savoir ce qu'est être Juif aujourd'hui. Si un Juif aujourd'hui ne subit pas l'exil de ses ancêtres nous verrons que la prégnance de son héritage culturel fait du sujet abordé une question encore soulevée chaque jour parmi une communauté juive à l'identité complexe.
[...] Ce caractère est de plus indélébile : même en cas d'apostasie du judaïsme ou de mariage mixte (qui équivaut à une apostasie), tout sujet reste Juif selon le Talmud et l'histoire rabbinique. Le critère d'appartenance est binaire : on est Juif ou l'on ne l'est pas, donc le non- Juif est étranger par rapport au Juif et inversement (à noter que pour l'Église aussi, tout au moins en Espagne du XVe au XVIIIe siècle, un Juif baptisé reste un Juif, c'est-à-dire un fils de Satan ; ce principe sera également suivi par les nazis). [...]
[...] Le Juif est-il encore étranger aujourd'hui ? Nous l'avons souligné, la création d'Israël traduit un désir d'au moins une partie du peuple juif de normalisation. La fin de l'exil depuis plusieurs décennies, de cette idolâtrie tant stigmatisée même si nous l'avons vu celle-ci prend d'autres formes qui laissent toutefois plus de place à l'interprétation et à l'initiative personnelles que les apothtegmes bibliques, tendent à rendre plus difficile l'existence de repères pour les Juifs : il semblerait alors que ce particularisme devient plus difficile à porter. [...]
[...] Elle est donc de ce point de vue doublement étrangère. Les Hébreux devront donc s'exiler en Egypte avant d'accéder à la Terre promise, mais après quelques années de paix, ils finiront par être réduits en esclavage par les Egyptiens. Or, pendant cette période, ils conserveront ce qui les caractérise, c'est-à-dire le monothéisme, le respect de la tradition et des patriarches, leurs noms et leur langue. Cela leur donnera "le sentiment d'être un peuple distinct, c'est-à-dire ayant une identité différente de celle des Égyptiens." (Benaïm Ouaknine p.10). [...]
[...] Le christianisme a affirmé que la parole de Dieu ne s'adressait pas qu'aux élus ayant reçu la révélation : ceux-ci ont la responsabilité de la transmission car Dieu comme sa création est Un et toutes ses créatures sont touchées par ses paroles. Nous tenons d'autre part à insister sur notre rejet de toute provocation dans l'emploi du terme racial à propos du judaïsme : il suffira de se fier à la Bible pour constater la pertinence de ce propos : J'ai octroyé à ta race ce territoire du torrent de l'Égypte jusqu'au grand fleuve de l'Euphrate (Gen. XV, 18). Race d'Israël, son serviteur, Enfants de Jacob, ses élus ! [...]
[...] Être Juif, ça n'est pas soutenir aveuglément et jusqu'à la haine la politique israélienne. Il y a des traditions, une culture à perpétuer. Nous avons parlé de la dimension raciale du judaïsme. La difficulté à trouver des repères pour les Juifs aujourd'hui conduit J-C Attias dans Les Juifs ont-ils un avenir ? à soutenir la thèse selon laquelle il ne reste plus que la race comme élément distinctif entre un Juif et un non-Juif, après avoir constaté que nombre de Juifs n'observent plus le shabbat s'habillent comme tout le monde que «les traits discriminants dont l'histoire les avait affublés sont en train de disparaître Les défis face auxquels le peuple juif est aujourd'hui confronté sont donc multiples : il s'agit de réaliser qu'être Juif ne renvoie pas qu'à des croyances politiques, à une hérédité ou à certaines conduites sociales motivées par un souci de particularisme mal compris par une nouvelle génération méconnaissant les textes saints et les traditions de son peuple séculaire. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture