Trois auteurs, trois thèses différentes ? Trois temps différents d'une argumentation qui emprunterait alors la forme dialectique ? Le schéma d'analyse est séduisant. Histoire et salut, l'œuvre de Karl Löwith en serait le premier mouvement (thèse selon laquelle la sécularisation finalement n'est pas le moment d'une discontinuité, le troisième moment d'un mouvement dialectique). Réagirait alors Blumenberg dont l'œuvre La légitimité des Temps modernes serait une critique de la catégorie de sécularisation telle qu'elle est couramment mise en vogue. Jean-Claude Monod opèrerait le moment de la synthèse dans son œuvre La querelle de la sécularisation, de Hegel à Blumenberg.
On a pu penser que toute interprétation théologique de l'histoire était sans intérêt philosophique et historique, et que la pensée historique digne de ce nom commençait seulement au 18e siècle : Voltaire, de ce point de vue à s'opposer semble-t-il à une vision théologique de l'histoire. A l'encontre de cette opinion répandue, K. Löwith s'attache à montrer que la philosophie moderne de l'histoire prend ses racines dans la croyance biblique en la rédemption et qu'elle prend fin avec la sécularisation de son modèle eschatologique.
En invoquant les notions du transfert et de la mondanisation, cet exposé entend montrer que le débat autour de la notion de sécularisation se prête à des herméneutiques opposées, selon que cette notion désigne le retrait de la religion et la construction de nouvelles institutions sur des bases nouvelles ou bien, au contraire, le passage dans le champ politique de schèmes et composantes religieux, sans que les acteurs n'en soient eux-mêmes nécessairement conscients. Une réflexion épistémologique portée sur l'histoire de la sécularisation s'impose alors, ce que Blumenberg s'attache à faire, montrant les limites de l'interprétation selon laquelle la modernité se serait bornée à transposer dans la sphère profane des éléments sacrés empruntés à la tradition chrétienne.
C'est cette approche univoque qu'il s'agit de questionner afin de « réinvestir » le champ de l'histoire, selon la terminologie employée par Blumenberg, en tentant de signifier la nouveauté à l'œuvre dans l'histoire sans pour autant sacrifier à la continuité. Comment, en d'autres termes, poser le refus de l'image mythique d'un commencement absolu, sans pour autant nier les ruptures historiques d'une part, sans délégitimer le projet d'émancipation d'autre part ?
Si le présent travail n'est pas en soi une réflexion sur l'épistémologie de l'histoire, il reste qu'il peut rejoindre des considérations épistémologiques, notamment lorsqu'il en vient à interroger la notion de sécularisation sur laquelle se sont construites nombre d'analyses portées par les philosophies de l'histoire afin de rendre compte d'un processus historique induisant la perte d'influence du religieux dans les structures politiques, culturelles ou tout simplement mentales.
[...] Le regard épistémologique porté sur la notion de sécularisation permet de mettre à jours nombre de présupposés et de points aveugles. Quelles sont les valeurs respectivement explicative et descriptive du terme ? L'approche n'est pas exhaustive. La philosophie de l'histoire rencontre la sécularisation comme problème historique, comme objet, mais également comme souci herméneutique envers sa propre provenance, dans la mesure où elle a elle-même été conçue et mise en cause comme histoire sacrée sécularisée.[52] Ainsi se trouve-t-elle en jeu dans l'examen de la légitimité des Temps modernes, et dans le processus de sécularisation active qui les caractériserait : l'achèvement de la sécularisation pourrait bien impliquer la disparition de la philosophie de l'histoire qu'elle aurait ainsi rendue possible à un stage antérieur de son procès, par une insuffisante critique des questions léguées par la tradition. [...]
[...] Monod explique la nécessite du dépassement dans l'entreprise de mondanisation des philosophes allemands du 19e siècle : La critique marxienne du christianisme [ ] s'inscrivait dans l'horizon d'une réalisation de la communauté et de l'égalité [ En ce sens, la critique marxienne du christianisme et de sa réalisation démocratique bourgeoise laissait intact ce que Louis Dumont désigne comme le socle idéologique le plus profond de la civilisation chrétienne, à savoir l'idée d'une égalité fondamentale des individus.[10] Nietzsche accuse ainsi la philosophie allemande d'un sauvetage de l'idéologie chrétienne, à l'image de Kant qui détruit la thèse de l'existence de Dieu par la raison spéculative mais pour mieux souligner en rétablir la nécessité au nom de postulats de la raison pratique. Avec Nietzsche alors, la pensée allemande pivote et prend pour cible sa tendance à la sécularisation des thèmes et notions chrétiens. Il demeure néanmoins que Nietzsche n'a pu faire mieux, en définitive que de remplacer la Bonne Nouvelle de l'Évangile par l'enseignement apporté par Zarathoustra, le héros de son ouvrage éponyme. On peut alors en vérité percevoir quel est finalement le drame du mondanisateur celui que J.C. [...]
[...] Le problème, finalement, est que son emploi demeure historiquement ancré et donc originellement déterminé désignant alors la spoliation des biens de l'Église la considération philosophique lui étant antérieure et signifiant l'intégration du processus d'expropriation externe [confiscation des biens] au processus de la raison a priori de l'histoire On pourrait alors légitimement s'interroger sur la question de savoir si la sécularisation en tant que catégorie d'interprétation est issue de la métaphore du concept historique et juridique de l'expropriation des biens du clergé H. [...]
[...] Löwith, se posant la question invite à distinguer entre religion du progrès, progrès de la religion et progrès religieux. Le progrès religieux renvoie aux notions de jugement dernier et de Rédemption. Le progrès est alors celui qui rapproche sans cesse de moment eschatologique, synonyme de la venue de Dieu (il ne faut donc pas comprendre ici le mot dans le sens de progrès terrestre). La religion a anticipé l'avenir de manière définitive (Jugement dernier). Le progrès de la religion est, de manière plus prosaïque, l'indice de progression du phénomène religieux, en terme de pénétration humaine. [...]
[...] La non-religion du progrès demeure pourtant une sorte de religion, dérivée de la croyance chrétienne en un but à venir, même si elle pose à la place d'un eschaton déterminé et supra-mondain un eschaton indéterminé et intra- mondain. Mais si l'idée du progrès, bien que religieuse, est foncièrement antichrétienne, pourquoi continue-t-elle à obéir à des schèmes chrétiens comme l'affirme K. Löwith ? Peut-être, comme le suggère J.C. Monod, parce que la fragilité de l'agir humain appelle, comme compensation et garantie, quelque chose comme une action immanente de l'Histoire elle-même, une action méta-individuelle 3. [...]
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