Anne-Marie Franchi a soulevé la question d'une laïcité sur le modèle français qui, dans son esprit, n'est pas exportable comme recette intangible, mais qui mérite d'être défendue et proposée, pouvant dès lors « constituer une proposition à valeur universelle ». On déduit de ces réflexions que la laïcité française, unique au monde, n'est pas un modèle de perfection et que chaque pays doit pouvoir défendre son propre modèle. Ce n'est pas tant les principes du modèle qu'il s'agirait d'exporter, mais bien les valeurs humanistes.
Bernard Lewis aborde quant à lui la nature des liens privilégiés entre la laïcité et les éléments précurseurs de modernité. Il décrit les deux types de persécutions impliquées dans cet avènement. Celles, d'abord, endurées par l'Eglise primitive européenne et qui aboutissent à la séparation des pouvoirs.
[...] Bernard Lewis. Que s'est-il passé ? Paris : Gallimard p L'auteur se réfère au système de valeurs sociales assumées par les courants politiques arabes Maxime Rodinson. Les Arabes. 4e éd., Paris : Presses Universitaires de France p. 150-157 Outre ce manque naturel de prédisposition pour la laïcité dans le monde musulman, on dénombre plusieurs critères de rejet vis-à-vis du concept : _ L'anticléricalisme véhiculé par l'expédition égyptienne de Napoléon sème le trouble : L'alphabet arabe ne comportant pas de majuscules, il ne peut distinguer entre Église et église Le vocable anticléricalisme allusion à une opposition à l'Église de Rome, est donc interprété comme antireligieux, hostile à l'islam. [...]
[...] L'idée avancée par Napoléon était inadaptée à la région. Les événements qui se sont, par la suite, succédé ont étendu le rejet aux valeurs universalisées et non partisanes de la laïcité. _ Le sentiment généré, au siècle dernier, par l'intervention des puissances civilisatrices. Ces événements représentent une période clé de l'avenir arabe. La volonté nationaliste de rejeter les valeurs européennes sera reprise par un islamisme s'appliquant à évacuer toute idée profane attribuable à l'Occident. _ Le respect des auteurs arabes de toutes époques vis-à-vis de l'islam est perceptible. [...]
[...] Au XIXe siècle, cette traduction erronée incite les chrétiens arabophones à proposer un terme de rechange pour relancer l'idée : almâniyya, qui provient de alam (monde) et ilmâniyya de ilm (science), plus proches du mot sécularisation Malgré tout, cet effort s'avère inutile : la traduction à consonance antireligieuse va se répandre dans le monde musulman. Protection permanente contre paiement du dhimmi, impôt religieux. Pourtant, les prédispositions à une laïcité œcuménique arabe ont, durant des siècles, permis une coexistence sociale entre diverses communautés religieuses. Il manquait, pour en atteindre l'idée, l'émergence d'un contexte de développement économique, favorable à la liberté intellectuelle. [...]
[...] Il serait hasardeux, par ailleurs, de vouloir se démarquer de l'islam pour relancer des courants rationalistes. Les générations de penseurs arabes médiévaux, dont l'influence avait largement débordé sur l'Europe, ont toutes, sans exception, évolué à l'intérieur de l'islam. Après des décennies de paupérisation et de privation des droits, le peuple arabe se montre déterminé à jouir d'une société égalitaire. Il n'avait eu jusqu'ici, comme référent politique valable, que le discours islamiste. À ce propos, Burhan Ghalioun constate la conjonction entre, d'une part, l'impuissance des dirigeants à relever les défis, l'enlisement des politiques de développement, la recrudescence de la répression et de l'arbitraire et, de l'autre, la combativité de la tradition musulmane et son grand sens de la dignité, favorisant l'accroissement des frustrations et des tensions et renforçant les tendances au refus, voire à l'insurrection Avant les révolutions arabes de un nombre très limité d'intellectuels arabes se disait prêt à accorder un soutien sans faille à la représentation actuelle de la laïcité. [...]
[...] Le modèle turc est-il transposable à un autre pays musulman ? Si ce modèle a fonctionné en Turquie, c'est qu'il reposait, à la fois, sur la stature de Mustapha Kemal et sur un fort sentiment national face à une coalition européenne. Par la suite, le peuple a porté son choix sur un gouvernement dominé par les religieux. Une confrontation entre les dirigeants et l'armée, qui à présent n'est plus envisageable, aurait été de toute manière catastrophique pour l'entrée de ce pays dans l'UE. [...]
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