Un constat : la vie en communauté attire souvent les jeunes vers la vie religieuse, mais beaucoup la quittent après une dizaine d'années parce que la vie commune leur paraît impossible à supporter. Pourquoi cela ? On en reste souvent aux causes visibles. La communauté dira que les jeunes sont fragiles, et les jeunes diront que la communauté ne vit pas une vie évangélique et les empêche d'être libres. Souvent les deux sont vrais. Mais est-ce suffisant pour comprendre ce qui se passe ? La source des difficultés rencontrées aujourd'hui pour la vie commune ne vient plus seulement de la nécessité d'une conversion personnelle ou de changements à apporter au style de vie de la communauté. Elle est marquée aussi par l'influence de la société environnante.
Les difficultés ont des racines profondes. Certaines sont d'ordre philosophique, d'autres psychologique, d'autres encore relèvent de la morale ou de la théologie, et d'autres enfin touchent à l'affectivité et à la vie spirituelle. Le cloisonnement entre les divers domaines, qui caractérise notre monde éclaté, augmente la difficulté : on peut professer une doctrine parfaitement orthodoxe, citer saint Thomas d'Aquin ou Jean-Paul II, et les meilleurs auteurs mystiques, et en même temps être guidé, sans même s'en rendre compte, par une morale ou une spiritualité qui ne sont pas réellement chrétiennes.
[...] Mais pour bien des jeunes, cette ouverture ne recouvre aucune réalité. Ce qu'ils perçoivent comme important dans la connaissance, n'est pas l'ouverture à la présence des êtres, mais uniquement la prise de conscience de soi-même. La consistance du réel est à peu près inexistante ; elle se réduit à celle qu'ils veulent bien lui donner. Certains ont vraiment l'impression que ce sont eux qui, par leur pensée, donnent au monde qui les entoure sa consistance. Dans ce contexte, toute attention à l'autre devient impossible. [...]
[...] Quand l'éducation ou une formation chrétienne déficientes, n'ont pas fourni de matériaux à engranger pour être intériorisés, rien n'habite. Le silence intérieur est vide, alors que bien souvent des études poussées ont rempli la tête. Il n'y a pas de dialogue intérieur, pas de vis-à-vis. Comment parvenir, sans parole intérieure, à une réelle stabilité intérieure, indispensable pour que se développe une identité personnelle ? Or seule cette parole peut, par ses résonances, créer des ponts vers l'autre, établir dans la paix 8 intérieure, donner assurance et confiance en soi, faire disparaître la peur. [...]
[...] 1-10. FLIPO, Cl., La transmutation des passions Christus, 168 HS p. 5-9. Croissance de l'amour Christus, 168 HS p. 75-86. PINCKAERS, S. Les Sources de la morale chrétienne. Sa méthode, son contenu, son histoire, Coll. Etudes d'éthique chrétienne, Éd. Universitaires Fribourg Suisse, Éd. [...]
[...] Si tout est enfoui, la crise se résoudra par un départ ou un durcissement. À travers le pardon mutuel, la communauté est expérimentée comme une communauté chrétienne où le Christ est rencontré dans une acceptation du frère sans condition. Chacun se rend compte qu'il a du prix pour les autres. La spiritualité de communion sera alors vivante dans la communauté. Lorsque le regard et la parole des frères a permis d'accéder à une libération, la communauté n'est plus recherchée pour soi, pour son profit spirituel, mais pour servir, pour vivre pour les autres. [...]
[...] Il est donc important de ne pas réduire cette difficulté à une question de morale. Il s'ensuivrait un dialogue de sourds ! Un exemple : quand un élève a pris l'habitude de répondre au professeur : Je le pense donc c'est vrai comment pourra-t-il, si un jour il entre dans un noviciat, avoir l'humilité nécessaire pour recevoir la vérité transmise par un autre ? Peur de l'autre, peur de soi L'autre est pour moi une question. Dès lors, ce qui en lui m'est incompréhensible creuse mon désir sous forme de questions toujours ouvertes. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture