Dans la lettre à Fliess du 22 décembre 1897 Freud écrit : « J'en suis venu à croire que la masturbation était la seule grande habitude de ce besoin primitif (die Ursucht) et que les autres appétits, tel le besoin d'alcool, de morphine, de tabac, n'en sont que les produits de remplacement ».
Parmi les divers termes utilisés par Freud, celui de Sucht (qui viendrait du vieil allemand signifiant « maladie », « marasme ») pourrait se rapprocher selon moi de la notion d'addiction réintroduite dans la littérature française psychanalytique par Joyce McDougall dans son ouvrage Plaidoyer pour une certaine anormalité. Mais on ne peut parler chez Freud de l'existence ou du dégagement de troubles psychiques bien définis, pas plus que d'un usage conceptuel constant de ce terme. Certains se sont même demandé, en rappelant la place que la cocaïne et le tabac ont occupée dans la vie de Freud, s'il ne s'agissait pas là d'un point aveugle.
Pourtant, en lisant attentivement Freud, on remarque qu'il esquisse dans les divers passages où « l'addiction » est évoquée, une question maîtresse qui « hante » la clinique contemporaine : s'agit-il d'une addiction à des produits externes qui « empoisonnent » le corps ou d'une addiction à des états mentaux « immatériels » et à des activités sans substrat matériel manifeste?
Ainsi, lorsque Freud aborde la question addictive, dans Malaise dans la culture, en des termes de « méthodes chimiques » soit comme une intoxication par l'introduction « des substances, dont la présence dans le sang procure des plaisirs immédiats » il ne manque pas de rappeler que, grâce à un chimisme intrinsèque au corps humain, un état de plaisir analogue peut être obtenu, dans la crise de manie, sans qu'un stupéfiant ait été introduit dans le corps.
D'autre part, dans la hiérarchie que Freud établit parmi « les briseurs de soucis »- « satisfaction sans restriction de tous les besoins », évitement du déplaisir par isolement du contact avec les humains, « mise à mort des pulsions » comme l'enseigne la sagesse de la vie orientale, domestication des « motions pulsionnelles sauvages » par leur inhibition quant au but – l'intoxication chimique apparaît comme « la méthode la plus grossière, mais aussi la plus efficace ». Si l'on prend en considération la multiplication des addictions dans la deuxième moitié du XXe siècle, on pourrait croire que le Malaise dans la culture du monde occidental n'a pas diminué, au contraire. Est-ce un hasard si cette multiplication s'est réalisée en même temps que celle des états ou fonctionnements dits limites?
C'est alors que je m'interrogeais sur cette question que j'ai rencontré Bernard. P. Cette note clinique ne se veut pas une recherche théorique sous la forme d'une réponse, mais le fruit d'une rencontre humaine, vivante et sensible prenant pour fer de lance la contradiction induite dans les notions d'addiction et de toxicomanie que Freud évoquait déjà.
[...] Il a extrait le noyau palpable, vivant, de ses conflits avec l'Autre. Il ne reste que l'écorce, imperméable à la douleur. Désormais, son monde objectal se composera de gens qui remplissent des fonctions bien définies et à défaut tout objet sera remplaçable il me faut une poulette, peu importe laquelle Ma propre souffrance Mais que m'est-il arrivé à moi qui aie assisté à ce processus mortifère devant lequel j'ai été réduit à l'impuissance? J'ai souffert bien entendu, mais je me suis souvent demandé pourquoi je vivais si péniblement ces séances. [...]
[...] Alors où se situe le problème dans mon identification à Bernard. P., puisqu'il y a bien eu problème et que celui-ci est à différencier des trois modèles précédents? Selon moi, je me suis identifié à la place de Bernard P. J'ai cherché à éprouver ce que lui-même était incapable de ressentir. Je nommerai ce processus l'appel du vide. J'ai déjà parlé de ce phénomène en exposant la pensée opératoire, cette difficulté du psychologue à se dégager, quand j'évoquais en guise d'illustration le fait que je ne pouvais m'empêcher de lui montrer qu'il saignait. [...]
[...] Il a changé sa porte de garage pour un truc automatique. Voilà . C'est bien ça. Il a un Mac et son bel écran plat qui en met la vue. Il a toujours tout. Mais il ne m'agace pas. J'ai jamais pas dit ça J'essaie de nombreuses associations, par exemple une simple avec le piano ', mais il la balaie d'un revers de main c'est du hasard»), j'insiste lourdement et il bifurque sur autre chose, ou acquiesce une autre fois sans y croire le moins du monde. [...]
[...] Que se passe-t-il pour qu'il ait ce besoin utiliser Et pourquoi ne se passe-t-il rien d'authentique? Pourquoi rien ne démarre? Je repense au début du suivi. Au premier abord un homme intelligent, d'un niveau socioculturel qui valorise le monde des idées et d'une famille dont plus d'un avait fait une analyse (donnée recueillie auprès de Nicolas Barbier). Il me parlait de son insatisfaction profonde dans toutes ses relations profondes, de son incapacité à avoir des amis qu'il mettait sur le compte de son passeport-nullité comme j'ai décidé de l'appeler (une formulation magique qu'il a trouvé pour tout expliquer sans rien élaborer). [...]
[...] Pourtant, j'ai d'abord noté l'insistance sur le décès du frère qui pourtant devait le laisser froid Puis ce discours : Alors l'existence l'existence, c'est bien gentil, la petite graine et puis tout ça pour aller crever au bout de soixante ans c'est pas tellement finaud hein? C'est ça l'existence humaine non? Dès qu'on est né, on attend la mort. Et qu'est-ce qu'il y a après la mort je sais pas moi! Y'en a qui vont aller s'énerver dans la religion pour trouver quelque chose . Mais tout ça c'est de l'artificiel. Avoir une belle bagnole? C'est de la connerie [ . ] Quand ma mère elle meurt, oui bon d'accord bien, quand le père il meurt, oui bon. Il l'a perdu. [...]
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