La mort fœto-infantile a longtemps été un sujet relativement tabou dans nos sociétés. En 1909, R. Hertz parlait d'une société aveugle à la douleur secrète des femmes, isolées dans leur indicible et « impartageable chagrin » : « ne cherchez pas la reconnaissance d'un malheur qui n'en vaut pas la peine. Si l'enfant a perdu la vie avant de voir le jour, s'il est mort avant d'être prénommé ou s'il n'est pas baptisé, existe-t-il vraiment ? » . Aujourd'hui encore, cette disqualification, cette non-perception et ce non-événement de la perte et du deuil périnatal persistent ; cela étant scandé et orchestré par des réflexions de la part de l'entourage du style, dans le cas de Mme C. : « vous en aurez d'autres, vous êtes jeunes ! », « ça aurait pu être pire » (cf. annexe p.78), ou encore, dans le cas de Mme M. : « oh bah, heureusement vous en aurez d'autres ! », « vous êtes jeunes,c'est mieux comme ça… » (cf. annexe p.86).
De nos jours, la perte d'un enfant est considérée comme une tragédie familiale, quelque soit l'âge et le sexe de l'enfant. Depuis le siècle dernier, les progrès dans le domaine médical ont été phénoménaux. Ils favorisent de plus en plus le fantasme universel d'immortalité, à travers la diffusion d'une image de la médecine toute puissante. Si bien qu'aujourd'hui, la mort d'un enfant si jeune paraît presque inconcevable et intolérable.
Selon une étude de l'INED datant de 2003 , le taux de mortalité infantile en France n'a cessé de diminuer depuis le siècle dernier. Alors qu'en 1919, par exemple, le taux dit de mortinatalité, c'est-à-dire le taux des enfants nés sans vie (ou mort-nés), représentait 38,5 pour 1000 enfants nés ; en 2001 il ne représentait plus que 4,8 pour 1000. En ce qui concerne les morts infantiles, c'est-à-dire les enfants décédés à moins d'un an (dont les MSN), aux mêmes dates que précédemment, on observait respectivement un taux de 130,9 et 4,5 pour 1000 naissances (cf. annexe p.67-68).
Le sentiment d'horreur indicible que cause la perte d'un enfant est universel . La mort de l'autre est insupportable parce qu'elle donne à entrevoir notre propre mortalité. Mais lorsqu'il s'agit d'un enfant, quelque chose dans l'ordre naturel semble ne pas avoir été respecté. Les parents se retrouvent complètement anéantis.
Selon la classification de l'INED (cf. annexe p.67), la mort fœto-infantile correspond aux enfants décédés à moins d'un an ou nés sans vie (ou mort-nés). L. Rogiers parle de « parents désenfantés » pour caractériser les parents confrontés à ces pertes et à leur solitude. L'enfant décédé « handicape la maternité » dans un lieu habituellement consacré à la vie.
La perte d'un enfant, est une « blessure narcissique insupportable » , qui laisse souvent les parents tellement désarmés qu'un nouvel enfant est conçu pour le « remplacer » . « Pour les parents, l'enfant suivant est à la fois un autre enfant et inconsciemment toujours le même » .
Beaucoup de recherches ont été menées sur la perte et le deuil d'un enfant, cependant peu sont récentes. Or, les mentalités ont évolué en ce qui concerne les morts fœto-infantiles. Ma recherche s'est donc appuyée sur cette évolution.
De plus, mon travail introduit un élément nouveau. Il porte, dans un premier temps, sur l'enfant qui suit un premier enfant décédé. Je me suis intéressée à l'élaboration et à la création possible d'un espace d'identification pour cet enfant. La réflexion est basée sur l'élaboration éventuelle d'une identité propre et a été menée au travers d'une étude comparative, entre le vécu maternel dans le cas d'une mort fœtale in utero et d'une mort subite du nourrisson. Dans un second temps, je me suis intéressée à la réparation éventuelle du narcissisme maternel, à travers l'angoisse d'une nouvelle grossesse et l'angoisse dans la relation à l'enfant subséquent.
Mon regard s'est essentiellement porté sur les mères, même si, la part des pères dans cette épreuve n'est évidemment pas à négliger. Cependant, l'étude du rôle et du ressenti paternels, lors d'une perte fœto-infantile, pourrait faire l'œuvre d'une étude à part entière.
Mon intérêt pour ce thème d'étude, a été motivé par la population rencontrée au cours de mes lieux de stages dans différents établissements liés à la parentalité (CATTP, crèches, maternité). J'ai eu l'opportunité d'y rencontrer des mères confrontées au deuil de leur enfant. L'énergie que ces femmes mobilisent pour être entendues et reconnues en tant que mères, souligne le besoin intense de reconnaissance de leur maternité, dans une volonté de réparation narcissique.
[...] signale ici, la reviviscence d'un conflit interne qui renvoie au complexe de castration : la séparation trop brutale qu'a causé la perte de son premier enfant, lui renvoie à son incapacité à conserver l'enfant en vie, et par là le pénis et la toute puissance. Cela la renvoie par conséquent, à son identité féminine et maternelle : enfanter étant le signe primordial de la féminité qui donne aux femmes ce sentiment de toute puissance sur les hommes, et de réparation narcissique quant au complexe de castration. De plus, le sentiment de ne pas pouvoir donner la vie, renvoie à la dette de vie de M. [...]
[...] Dans un souci de ne pas reproduire ce qui s'est déjà produit, et par conséquent, dans une volonté de mieux faire, de donner la vie et d'être mère, Mme M. souhaitait que Alix naisse au plus vite : j'avais toujours l'impression, c'est pas logique, mais je me disais qu'elle serait plus en sécurité quand elle serait sortie quoi j'avais besoin de la sentir, de l'avoir avec moi. J'avais l'impression qu'à l'intérieur, il pouvait lui arriver quelque chose. Elle a été tout au long de la grossesse très attentive à ce ventre qu'elle craignait : et c'est vrai que j'étais très attentive à faire toujours bien attention à ce qu'elle bouge ! [...]
[...] En ce qui concerne Mme M. et Mme B., la douleur meurtrissante de cette perte, les conduits à une conception rapprochée, soit 3 mois après. Ce désir est d'emblée faussé par des exigences de réparation de la blessure narcissique, justifié par Mme M. : j'en avais vraiment besoin : être enceinte ça me raccrochait à la vie. ; et dans un espoir de retrouver la relation à l'objet perdu. Cette nouvelle grossesse apparaît comme une nécessité psychologique, les mères étant dans l'incapacité de désinvestir les liens narcissiques et libidinaux de l'enfant mort. [...]
[...] L'histoire familiale a vécue un drame qu'un nouvel enfant va réactiver ou colmater[69]. L'enfant suivant une mort fœtale, va être investi en fonction de l'enfant imaginé et fantasmé par les parents pour l'enfant précédent ; cette représentation persiste dans le psychisme maternel[70]. L'enfant qui n'a pu être perçu que par des échographies et des échanges nutritifs et affectifs à travers le ventre, demeure cet enfant virtuel qui va être de nouveau investi lors d'une nouvelle grossesse : lors de la mort de l'enfant, l'enfant imaginaire est brutalement désinvesti par les parents. [...]
[...] ROGIERS L., Mort-né : une place dans la famille in : La grossesse incertaine, Paris, PUF SARNOFF SCHIFF H., Parents en deuil, Paris, Robert Laffont WINNICOTT D. W La préoccupation maternelle primaire, in : De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot Annexes Tableaux et graphiques Quelques définitions et abréviations Grille d'entretien Retranscription de l'entretien de Madame C. Retranscription de l'entretien de Madame M. Retranscription de l'entretien de Madame B. Retranscription de l'entretien de Madame F. Résumé Tableau INED (Recrutement 2003) Néonatale précoce : enfants décédés à moins de 7 jours. [...]
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