La meilleure façon de comprendre une époque, c'est de s'intéresser à ses obsessions. La nôtre s'intéresse de près aux victimes. Jamais autant d'attention n'avait été accordée aux souffrances d'autrui. Selon Pascal Clément, ministre de la justice sous le mandat de Jacques Chirac, en 2006 on comptait une augmentation du nombre de victimes de 25% par rapport à 2002. D'après le Ministère de la Justice le montant des subventions accordées aux associations d'aides aux victimes a atteint 9 200 000 € en 2006, soit une progression de plus de 12 % par rapport à 2005 et le double de 2002. Mais qu'est-ce qu'une victime ? Pour Guillaume Erner, sociologue et auteur du livre « La société des victimes », la victime est avant tout une catégorie sociale, la conséquence d'un système qui se construit autour d'elle et qui la promeut. Selon lui, c'est le regard de l'autre qui joue un rôle déterminant. Guillaume Erner utilise la notion de victime pour désigner toute condition perçue comme insupportable par notre époque.
Beaucoup d'auteurs s'interrogent sur les causes, historiques et sociales, qui ont conduit notre société à connaître cette transformation. Comment les victimes en sont-elles venues à constituer une catégorie sociale incontournable ?
Dans leur livre « Le temps des victimes » Caroline Eliacheff et Daniel Soulez Larivière expliquent que notre société prône le culte du gagnant. Ils proposent l'idée selon laquelle la figure de la victime en est arrivée à occuper celle du héros.
D'après ces auteurs, le problème serait le suivant : nous voulons tous être à la fois égaux et différents, ce qui semble assez contradictoire. Cependant l'égalité et la diversité des populations sont des éléments fondamentaux de la démocratie. Caroline Eliacheff et Daniel Soulez Larivière (2007) émettent l'idée que la victimisation est une solution à ce problème, ce qui expliquerait l'augmentation du nombre de victimes. On nomme victimisation le fait de se considérer, ou de considérer quelqu'un comme une victime d'un acte ou d'un phénomène donné (agression, terrorisme, catastrophe naturelle, racisme, rejet social, etc.). Ce terme est parfois utilisé lorsque cette considération est jugée abusive. Par extension, le terme désigne la tendance à conférer aux victimes un statut social et une attention exagérée, proche de la sacralisation. Ce qui reste tout à fait contestable.
Il parait désormais évident que le statut de victime connaît une certaine valeur dans notre société, société qui pourrait être symbole d'inégalités diverses très prononcées. Ils nous est tous arrivé de se sentir victimes de quelque chose à un moment donné dans notre vie, et par conséquent de sentir que le regard que portent les gens sur nous n'est plus le même. Etre victime c'est être confronter à une injustice. Quotidiennement, nous sommes mis face à des personnes victimes d'injustices et d'inégalités que ce soit dans la vie réelle ou par les médias. Comment fait-on psychologiquement pour évoluer dans un système avec des inégalités ?
Dans le but de justifier ces inégalités et ces injustices présentes dans notre système économique et social, les individus possèdent la croyance selon laquelle il parait impossible de tout avoir (« The psychology of system justification and the palliative function of ideology », Jost et Hunyady 2002). Ce « on ne peut pas tout avoir » permet de réduire les inquiétudes, et les peurs qu'ont les individus face à l'injustice. Cette idée permet donc de rationaliser les inégalités propres à notre groupe d'appartenance ou à d'autres groupes. Que nous soyons victimes de ces inégalités ou non, que nous soyons avantagés socialement ou non cette croyance nous permet de maintenir la légitimité que l'on perçoit du système. Comme nous allons le voir plus précisément dans cette étude l'individu a besoin de se sentir évoluer dans un système juste et il est donc fondamental pour lui de tenter d'expliquer ses inégalités afin de me mieux les vivre. Jost & Thompson (2000) ont créé un outil permettant la mesure de la justification du système économique chez les individus, il s'agit de l'échelle de justification du système. Cette échelle sera largement exploitée dans notre étude.
La présente recherche a pour but d'étudier les effets de la menace du système sur la perception que les individus ont des victimes et plus précisément, celles harcelées moralement. La menace du système telle qu'elle est énoncée dans l'article (« The psychology of system justification and the palliative function of ideology » Jost et Hunyady 2002, est un contexte où le système connaît une attaque idéologique qui déséquilibre le statu quo. Ce statu quo une fois déséquilibré, nous le verrons plus loin, génère de l'anxiété, de la dissonance et nous procure une émotion inconfortable, c'est pourquoi il est capital pour les individus de le maintenir. Ce contexte de menace est une variable clef dans l'étude de la perception des victimes. En effet, les individus, dans ce contexte, changent leur jugement sur les populations désavantagées, afin de maintenir le statu quo. Dans ce cas, les victimes se voient être valorisées sur des caractéristiques qui n'ont aucune pertinence avec leur statut de victime et à l'inverse elles sont plutôt dévalorisées en l'absence de menace du système sur des caractéristiques qui cette fois ci ont une pertinence réelle. (“Victim Derogation and Victim Enhancement as Alternate Routes to System Justification”, Aaron C.Kay, John T. Jost, et Sean Young 2005.). Afin de bien maîtriser notre recherche, nous passerons en revue les travaux des chercheurs ayant apportés des indications sur ce sujet. Pour commencer, il serait intéressant de rappeler des notions importantes telles que la stigmatisation, le stéréotype ainsi que la discrimination qui sont le reflet des inégalités dans la société. Ces notions nous permettrons d'introduire les différentes théories qui postulent une société légitimante ainsi que la théorie pilier de cette étude celle de la justification du système de Jost et Banaji (1994). Par la suite nous pourrons nous centrer sur le statut des victimes censées évoluer dans un monde juste et voir plus précisément les travaux effectués sur celles harcelées moralement. Cette revue de la littérature contribuera à la réponse à la problématique générale suivante : Un système social menaçant la population en opposition à un système social non menaçant modifie t-il les stéréotypes que les individus attribuent aux victimes de harcèlement moral ?
[...] L'Ijime est un outil de contrôle social qui a pour but de structurer la communauté au travail. Quelles que soient les différentes terminologies et les formes variables selon les cultures, le harcèlement est un véritable phénomène de société. Le point commun est la violence et les conséquences sur la santé. Le harcèlement moral dans la vie professionnelle ; M.F Hirigoyen) Selon une enquête de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail en 2000, les personnes les plus touchées par le harcèlement moral sont les femmes. [...]
[...] Ceci indique que cette idéologie a une fonction palliative qui fait que les gens se sentent bien en ce qui concerne leur propre situation. Rationaliser le système permet de réduire les inquiétudes mais pourquoi les gens supporteraient-ils un système qui les maintient dans des positions désavantagées ? Jost et ses collaborateurs proposent que ce soit dans le but de s'adapter aux réalités injustes qui semblent être inévitables. Le fait d'être confronté à une inégalité génère chez nous du stress, et face à ce stress nous avons besoin d'établir une stratégie dans le but de le réduire. [...]
[...] La première modalité était celle d'absence de menace : De nos jours, en dépit des difficultés auxquelles le pays doit faire face, beaucoup de gens en France se sentent désormais plus en sécurité par rapport au passé. Beaucoup de citoyens sentent que le pays est relativement stable en termes de facteurs sociaux, économiques et politiques, ceci comparé à d'autre pays dans le monde, les conditions sociales, économiques et politiques en France sont relativement bonnes. Très peu de français expriment la volonté de laisser la France pour émigrer vers un autre pays. [...]
[...] Pendant la distribution des questionnaires, il était rappelé discrètement que les deux documents faisaient l'objet d'études indépendantes. La première étape du déroulement de l'expérience était la manipulation du système. Vingt cinq sujets passaient par la condition Menace du système en lisant l'article de journal correspondant à cette condition, et les vingt cinq autres passaient par la condition Non menace de la même manière en lisant l'article de journal approprié. Ensuite après avoir lu cet article, les sujets étaient invités à compléter l'échelle d'attribution des traits aux victimes de harcèlement moral. [...]
[...] Autrement dit, l'être humain préfèrerait éviter certains stress comme celui qui provient de la perception d'une victime de discrimination au profit d'un stress provenant de l'affirmation il faut se blâmer de son propre malheur Ainsi à partir d'une perspective de coping, les individus ont plusieurs raisons d'accepter les coûts potentiels de l'idéologie justifiant le système, c'est-à-dire la baisse de l'estime de soi pour les groupes désavantagés et l'augmentation de l'estime de soi pour les groupes avantagés. Selon les auteurs la justification du système chez les individus induit le démenti de la discrimination, la perception du contrôle et la conservation de l'espoir. Les personnes s'engagent dans la justification du système dans la perspective de faire face aux circonstances qu'ils ne peuvent changer. Il faut néanmoins spécifier que l'idée selon laquelle la justification du système serait une stratégie de coping n'a pas été vérifiée. Ceci reste une idéologie qui devra être retravaillée à l'avenir par les auteurs. [...]
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