Lorsqu'il s'agit d'aborder une oeuvre littéraire par le biais psychanalytique, la première question qui doit être posée est celle de la pertinence d'une telle approche. À quoi bon ? Mais aussi : quel sujet étudier ? Les récits médiévaux de Tristan et Iseut sont des reprises d'un hypothétique texte source dont on ignore l'auteur et dont on ne peut que supposer l'existence. Qui psychanalysera-t-on ? L'auteur conjectural d'un récit fantomatique ? Les personnages ? Mais dans ce cas, quel intérêt ?
Pour comprendre le bien-fondé d'une telle démarche, il faut questionner la nature du récit qui est envisagé ici : l'histoire de Tristan et d'Iseut n'est pas un simple roman. Denis de Rougemont la décrit comme un mythe, Michel Cazenave en fait une légende. Pour ces deux auteurs – pour ne citer qu'eux –, l'histoire de Tristan et Iseut doit se considérer comme un récit paradigmatique décrivant un ensemble de relations interpersonnelles fondamentales pour notre culture. C'est pour cette raison que la psychanalyse peut s'appliquer avec profit à l'étude de ce récit : ce faisant, on pourra faire apparaître ce qui, dans le texte, dit quelque chose de ce qui nous sommes, et, surtout, ce qui en est dit. C'est de ce type d'approche que témoigne le livre de Jean-Charles Huchet, Tristan et le sang de l'écriture.
[...] La division ne passe plus entre les corps, mais à l'intérieur du corps féminin qu'elle écartèle. Ainsi le rêve corrige le scénario réglé pour suggérer qu'au-delà des apparences , destinées à tromper le jaloux, l'absence de signes de l'union est son signe même; l'ardeur et la faim, l'appétit sexuel ne font pas lien mais, à l'inverse, divisent. Dès lors, le récit du rêve peut rester inachevé; son suspens matérialise la séparation structurale de la différence des sexes qu'aucune ardeur ne peut combler. [...]
[...] C'est de ce type d'approche que témoigne le livre de Jean-Charles Huchet, Tristan et le sang de l'écriture. PROLOGUE La différence sexuelle demeure indépassable et, en matière de langage, l'acte s'avère toujours un acte manqué dès lors même qu'il paraît réussi. Le délabrement des textes de la tradition tristanienne est en sympathie inconsciente avec une représentation du ratage de l'écriture reproduisant la nature d'acte manqué de l'amour tristanien. LE RÊVE D'ISEUT Le moyen âge savait déjà que le rêve constitue la voie royale d'accès à l'énigme du sujet et que cette énigme se confond avec un texte à déchiffrer. [...]
[...] Nul n'est maître des signes, ce qui s'écrit advient, au corps défendant du scripteur, à l'insu du sujet, pour livrer une vérité que personne ne peut s'approprier par la lecture. L'écriture sur la farine est seconde, elle ne s'inscrit qu'en retour. Le texte n'existe qu'au travers d'une copie qui en modifie le sens, qu'au travers d'une réécriture qui le nie. La version commune reste préoccupe par la question de l'écriture, par sa capacité à produire le signe de l'union amoureuse. À l'inverse, la version courtoise déplace l'intérêt vers la lecture, vers l'interprétation des signes. [...]
[...] On peut lire dans les incohérences de la version de Béroul le signe de la division affectant le texte, la matérialisation d'une osche textuelle empêchant la parfaite conjointure des séquences narratives, laissant le texte à jamais blessé, aussi impuissant à trouver une unité qu'à homogénéiser ses sources. Chaque version tire son originalité de la représentation qu'elle donne de la division. Thomas la thématise par la prolifération des doubles. On notera également le goût de l'introspection et des syllogismes, la dialectique retorse qui gèle le récit condamnant les personnages à l'inaction parce que, dans le champ du désir et de l'amour, il n'y a rien à faire, rien à faire pour colmater l'absence du partenaire rendant sensible le défaut du signe de l'union. [...]
[...] Le roman de Tristan est jalonné de récits de rêve par lesquels les personnages accèdent, sans le savoir, à ce qui les gouverne. Le rêve permet au roman de savoir qu'il est à tout jamais l'aventure d'un sujet porté à l'existence par le mouvement infini de son désir. C'est la version la plus mal conservée (celle de Béroul) qui relate le rêve d'Iseut, comme si ce songe avait contribué à la suspicion dont elle semble faire l'objet, comme en témoigne le délabrement de la tradition manuscrite. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture