Le premier jour de ma venue au CMPI de Quimper, cet enfant, que nous nommerons Dajan, faisait l'objet d'une discussion passionnée entre mon psychologue référent et l'un des infirmiers de l'équipe soignante. L'infirmier se plaignait du comportement violent et impulsif de Dajan sur les autres enfants et sur l'équipe elle-même. L'enfant était présenté comme « instable » et « brutal ». C'est donc un peu inquiété par de telles descriptions que j'entrai pour la première fois dans ce qui me semblait être une « cage aux fauves ». Or le « fauve » c'était moi qui l'incarnais pour Dajan qui, la première fois qu'il me vit, se précipita sur moi pour caresser littéralement la pilosité de mon visage en interrogeant l'infirmier qui m'accompagnait : « Lui aussi c'est un lion ? ». Ce signifiant, « lion », c'est seulement plus tard que j'ai compris qu'il n'incarnait pas seulement une crinière royale ou un félin majestueux, mais plutôt la force et la domination hiérarchique propre au roi des animaux, c'est-à-dire à celui qui, seul, peut incarner la Loi... (...)
[...] Autrement dit : Es-tu un homme ou une femme ? Lorsque j'interrogeais Dajan sur une personne de l'unité de soin, il me donnait toujours son identité en fonction de sa taille : Unetelle est une infirmière "moyenne" pouvait-il me dire. À l'âge de six ans, Dajan marque une angoisse significative à l'approche des figures féminines, s'écriant parfois : La dame fait peur ! Aujourd'hui encore l'enfant manifeste une grande anxiété, provoquant de sérieuses crises d'eczéma. Il n'est jamais serein, il regarde autour de lui comme s'il était constamment épié. [...]
[...] Lors de mes investigations sur son passé, j'apprends que Dajan, qui est originaire du Mali, a été adopté à l'âge d'un an. Cet âge est théorique et défini en fonction de la dentition du bébé. En effet, d'après son dossier médical, la véritable mère de l'enfant aurait déposé son bébé dans la rue, en hurlant et gesticulant Notons qu'au Mali, tout abandon d'enfant est un délit sévèrement sanctionné par la loi. Il est alors courant que de jeunes mères simulent des troubles mentaux qui leur évitent d'être poursuivies. Dajan est un enfant assez grand pour son âge. [...]
[...] Madame O. ne peut plus le garder à cause de ses fréquents passages à l'acte. La mère adoptive de l'enfant est une femme extrêmement attentive envers lui. Sa vigilance quant à son état de santé est excessive. A la moindre inquiétude, elle passe en revue tout son corps et tente de déceler la moindre anomalie. Le degré d'investigation des examens est tel, que Madame O. est déjà parvenue à découvrir une fissure annale chez son fils lorsqu'il avait six ans. [...]
[...] Il refusa et continua de me narguer. L'objet étant dangereux entre ses mains, je lui fis la menace suivante : Tu veux que j'aille le dire aux soignants ? il me répondit par l'affirmative avec un large sourire et attendit que je m'exécute. Lors de ses cinq années d'hospitalisation, l'équipe soignante a consigné de nombreuses phrases énoncées par Dajan. Nous retrouvons de multiples références au crocodile dragon serpent dinosaure et autres animaux carnivores, avec l'angoisse perpétuelle d'être poursuivi et dévoré. [...]
[...] La maison faisait ainsi office de forteresse protectrice inviolable. Lorsqu'il fabriquait ses couples d'animaux, Dajan ne semblait pas toujours savoir qui devait être le plus fort : la maman crocodile ou le papa crocodile ? La plupart du temps, lorsque je l'interrogeais sur la hiérarchie de ses figurines, c'était la mère qui incarnait l'autorité dans sa famille imaginaire. Il savait que le père devait être selon ses thermes plus gros que la mère, mais cette dernière était plus forte que lui. [...]
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