Orlan organise la confusion entre l'artiste et son œuvre, en faisant de son corps une œuvre d'art. Elle intervient sur son propre visage par le biais de la chirurgie esthétique, et sur l'image de son visage, par l'intermédiaire de l'informatique et des possibilités de retouche offertes par cet outil. De métamorphose en métamorphose, Orlan vise à acquérir un statut d'immortalité, qui passe par toute une série de provocations, vis-à-vis du religieux, de l'ordre moral, de la dimension sociale et politique du corps, et de ses limites corporelles même.
Nous tenterons de montrer que ce qui apparaît d'abord, dans l'œuvre d'Orlan, comme une mutilation, n'en a en réalité pas la valeur ; puisque la violence faite au corps est en fait, comme les scarifications tribales, une lutte pour en libérer l'esprit, accéder au domaine du sacré et acquérir un statut d'immortalité. Ainsi les transformations provoquées par la chirurgie, impliquant une usure du corps, viennent justement le libérer de sa dimension périssable, en le figeant par l'œuvre d'art, en le détachant de son statut de socle de vie pour le rendre autonome, et enfin en lui permettant d'offrir à l'artiste sa propre symbolique sacrée, sa propre mythologie, par la succession de différentes self-hybridations. Ainsi la violence faite au corps, qui apparaît comme une mutilation, va paradoxalement venir libérer le corps de sa dimension charnelle.
[...] En soumettant son visage aux caractéristiques formelles de sculptures ancestrales, Orlan fait de la peau de son visage le lieu d'appartenance à une autre culture, tout comme les scarifications et les tatouages inscrivent sur la peau de l'individu l'identité de sa tribu. En outre, les transfigurations d'Orlan posent la question de l'image du corps, comme de l'image de soi. L'image du corps n'est pas le corps réel, l'image du corps remet toujours en question la réalité physique. Pour autant, Orlan passe de l'image du corps au corps imaginé, en passant à l'acte, en s'appropriant la forme. L'hybridation qu'elle propose est la résultante de la définition d'une autre forme. [...]
[...] D'autre part, l'idée de mutilation implique une dimension esthétique. Sinon pourquoi ne considère-t-on pas la chirurgie esthétique en général comme une mutilation ? Dans la chirurgie esthétique telle qu'elle est utilisée traditionnellement, la transformation va dans le sens d'un meilleur, d'un plus Elle n'est en réalité pas une réelle transformation mais une amélioration : un nez fin, des lèvres pulpeuses Il s'agit de se conformer à un modèle, aux normes sociales, aux critères de beauté. Ainsi le sang qui coule, la graisse qu'on découpe au scalpel, les coups de burin sur le nez ne sont pas conçus comme une mutilation, puisqu'il s'agit de se rapprocher d'un idéal. [...]
[...] Quelle misère ! C'est d'une banalité. Il n'y a rien de plus interchangeable que la beauté. Une rose, c'est beau. Dix roses, c'est cher. Cent roses, c'est ennuyeux. Mille roses, tu repères le truc, l'imposture éclate : la Nature n'a aucune imagination. (Eric-Emmanuel Schmitt, Lorsque j'étais une œuvre d'art En confrontant l'art et la science à la nature et à la religion, Orlan repousse les limites organiques et morales, ce qui lui permet de mettre son désir en action, de s'offrir la multiplication des possibles. [...]
[...] Bibliographie - Deleuze Gilles, L'anti-oedipe, Capitalisme et schizophrénie, éditions de Minuit (coll. Critique Paris,1972 - Jeudy Henri-Pierre, Le corps comme objet d'art, Armand Colin, Paris - Lacan Jacques, La logique du fantasme (Séminaire XIV), 1966-1967 - Lacan Jacques, Au-delà du principe de réalité in Écrits, Seuil, Paris - Le Breton David, L'adieu au corps, Métailié, Paris - Maffesoli Michel, Le temps des tribus, Ed. Table ronde, Paris - Maffesoli Michel, Le réenchantement du monde - Morales, éthiques, déontologies, Ed. Table Ronde, Paris - Onfray Michel, Les icônes païennes, Galilée, Paris - Pearl Lydie, Nouvelles études anthropologiques, corps, art et société. [...]
[...] Mais la modification du corps, sous le joug du profit économique, n'est abordée que dans une visée purement techniciste. Pour Lacan, dans la logique capitaliste, l'homme est réduit à l'état de produit des produits ( ) consommables tout autant que les autres Ainsi l'on en vient à considérer le matériel humain le capital humain les ressources humaines Orlan, en utilisant la science à des fins symboliques, nous force à nous demander l'intérêt de gagner un corps neuf si c'est pour y perdre l'esprit. [...]
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