Document de réflexion tentant de répondre à la question suivante : pourquoi vouloir lier le théâtre et la criminologie, deux sujets si opposés en apparence qui n'ont aucune raison de tenir ensemble le haut de l'affiche ?
Pour des raisons diverses, aussi bien personnelles qu'épistémologiques, étant donné que, par le jeu théâtral, possibilité est donnée de voir ce qui normalement n'est pas visible, c'est à dire le criminel et son corps, l'acte criminel et sa violence ainsi que la parole du crime qui est rendue audible sur scène. Le crime est mis en scène dès l'apparition de la tragédie grecque, dans le théâtre romain de la plus pure tradition - les combats de gladiateurs par exemple.
" (...) Le crime semble être un phénomène qu'il ne faut pas intellectualiser étant donné que le réel de la mort et de la destruction, fort sur un plan émotionnel, ne doit pas être banalisé. Pourtant c'est toujours un acte symbolique mis en scène ou décrit dans des pièces contemporaines (...) Le théâtre réunit parfaitement les trois domaines qui ont entouré l'histoire de la criminologie : la biologie, l'univers social et la psychologie. En effet, étant donné que l'acte criminel mis en scène présente un individu dans son passage à l'action, le corps du criminel nous est montré. Nous avons donc la possibilité de voir ce que pourrait être un criminel. La scène théâtrale est, selon moi, le reflet par excellence de la société, ce qui peut nous permettre d'appréhender les questions sociétales contemporaines (...) "
[...] Le suspense n'a guère de place dans la tragédie grecque : le public connaît déjà toute l'histoire, ses protagonistes et ses rebondissements. Toutefois, les auteurs tragiques conservent une certaine liberté dans l'agencement des événements nécessaires. Ainsi, chez Eschyle et Sophocle, Oreste tue d'abord Égisthe puis Clytemnestre, alors que c'est l'inverse chez Euripide. Ce dernier n'hésite pas, parfois, à livrer sa propre version de la légende. Ainsi, dans sa Médée, c'est Médée elle-même qui tue ses enfants, et non les Corinthiennes. [...]
[...] Ici, ce qui peut sembler surprenant, c'est que, contrairement à ce que nous avons évoquer au cours de notre séminaire, le crime a toujours existé au sein de l'art théâtral, à la fois dans le discours et dans le corps. Preuve en est avec le plus célèbre d'entre eux dans le récit d'Œdipe, qui fut sans doute le plus repris de la littérature, notamment chez Sophocle et Jean Cocteau. Et c'est aussi le cas lorsque l'on étend cette constatation à divers genres artistiques, tels que la littérature, la peinture ou le cinéma pour le plus récent. Mais je pense que le lien ne s'arrête pas là. [...]
[...] Parallèlement, dans Bajazet, Racine déploie un théâtre encore plus sanglant dans lequel il n'y a aucun protagoniste survivant. Ici, le meurtre apparaît paradoxalement comme un ingrédient principal de l'amour, étant donné que le fait d'aimer signifie que l'on ne supporte pas que l'autre soit. Le théâtre racinien correspond à une tragédie de la mise à mort. Il y a donc toujours une victime de son bourreau. En se rapprochant encore de notre société contemporaine, nous pouvons découvrir d'autres pièces dont nous pouvons dire qu'elles appartiennent au théâtre du crime, telles Lorenzaccio de Musset ou Les Bonnes de Genet. [...]
[...] Et je souhaite en donner, encore une fois, la preuve en me retournant vers une autre période du passé théâtral, marquée par la prestance d'un homme pas comme les autres : Antonin Artaud. Ecrivain français, auteur de poèmes et de textes théoriques sur le théâtre et le cinéma, il est celui qui se rapproche le plus de mon interrogation de départ. Qui suis-je ? D'où viens-je ? Je suis Antonin Artaud. Vous verrez mon corps actuel Voler en éclats Et se ramasser Sous dix mille aspects Notoires Un corps neuf Où vous ne pourrez Plus jamais M'oublier. [...]
[...] Si, selon certains, le crime n'est pas dicible, il est pourtant bien visible sur les scènes du monde entier et ce depuis le théâtre grec. Cela me pousse donc à m'interroger une nouvelle fois sur le caractère non-intime du crime lorsqu'il est représenté sur scène. Il semble que cet acte n'ait jamais été remis en cause puisqu'il existe encore, alors que le crime est sévèrement condamné. Genet explique indirectement ce phénomène en affirmant que la vérité du théâtre réside dans la facticité. [...]
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