L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible », écrivait Paul Valéry. « Atanarjuat » transpose à l'écran une légende inuit transmise oralement depuis des milliers d'années. Premier long métrage canadien réalisé entièrement en inuktituk, c'est aussi le premier film représentant les traditions chamaniques inuit, disparues et rendues taboues par la christianisation. « Le film sert à préserver à la fois notre savoir et nos traditions, et notamment le chamanisme », déclare Paul Apak, le scénariste. Pour le réalisateur, Zacharias Kunuk, « filmer ce phénomène est une façon de le rendre visible ».
En tant que spectateur occidental, et devant l'impasse de compréhension que constitue au premier abord cette œuvre, on peut s'interroger sur le sens de ces actes rituels accomplis, sur la fonction de ces combats chamaniques. De la même façon, quelles relations entretiennent les personnages avec le sacré, de quelle manière leurs comportements sont-ils guidés par un impalpable ?
[...] Ceci passera par la symbolisation du rapport à la mort. Fondamentalement, le rite est un rapport au divin, une sorte de contrat passé avec lui. Le chaman va servir d'intermédiaire entre les esprits et les humains. Dans la tradition Inuit, le chaman devait pour s'associer aux esprits, mourir symboliquement, être dépouillé de son humanité corporelle. Son corps était toutefois régénéré par les esprits, ce qui permettait au chaman d'appartenir aux deux mondes, de devenir l'hôte de ces esprits, d'être possédé par eux. [...]
[...] Venons-en maintenant à la question de la temporalité. Le mythe nous parle-t-il d'un passé révolu ? Ou est-il la structure permettant d'anticiper l'avenir, ou encore de poser les conditions de cet avenir ? Pour Gilbert Durand, inventeur de la mythanalyse, le temps de tout récit est sempiternel : il est sans fin puisque voué à la répétition de la récitation ou de la relecture. Cette remarque illustre en même temps la condition cyclique de ce mythe. Celui-ci s'ouvre sur cette position intermédiaire, avec ces deux chamans ligotés, dans une position fœtale, accédant à ce qui est à la fois une naissance et une mort. [...]
[...] L'Inconscient, dans son ambivalence, n'est-il pas autant menaçant que transcendant, partageant l'homme entre peur et fascination ? Bibliographie - Baldus Herbert, Chamanisme et déculturation d'une tribu tupi du Brésil Central - Bergson Henri, Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, Alcan - Bonte & Izard, Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, Paris, PUF - Bourdieu Pierre, Le Sens pratique, Paris, Ed. de Minuit - Bourdieu Pierre, Les rites commes actes d'institution Actes de la recherche en sciences sociales, - Cazeneuve Jean, Encyclopedia Universalis, article Rite - Cazeneuve Jean, Les rites et la condition humaine, Paris, PUF - Durand Gilbert, L'alogique du mythe, in Religiologiques, 10 - Durkheim Emile, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF - Eco Umberto, L'œuvre ouverte, Paris, Seuil - Eliade Mircea, Le Chamanisme et les Techniques archaïques de l'extase, Paris, Payot - Eliade Mircea et Ioan P.Couliano, Chamanisme Dictionnaire des religions, Paris, Plon - Eliade Mircea, Forgerons et alchimistes, Paris, Flammarion - Freud Sigmund, Totem et tabou, Paris, Payot - Giono Jean, Introduction aux Œuvres Complètes de Machiavel, Paris, Gallimard - Girard René, La violence et le sacré, Paris, Grasset - Girard René, J. [...]
[...] Elle a formé nos institutions, nos moeurs et notre savoir. Oui la culture n'est que la continuation de la barbarie par d'autres moyens. De même, le sacré s'enracine dans le sacrifice, la mise à mort. C'est pourquoi les mythes, tous les mythes, racontent un lynchage premier, le racontent du point de vue des assassins, donc le cachent en le racontant tous les rites en répètent les gestes. L'anthropologie est simple et facile, claire et distincte : elle se ramène au mécanisme victimaire. [...]
[...] Le rythme cyclique est inhérent à la structure du récit, puisque le chaman exilé dès l'apparition de la maladie, Qutiktalik, reviendra à la fin, après un long processus de transformation - qui fera l'objet d'une seconde partie - achever la boucle de l'histoire, fermer la Gestalt en quelque sorte. Après avoir guéri le héros, il guérira la société entière, et rétablira l'équilibre. Pour Mircea Eliade, l'expérience chamanique équivaut à une restauration du temps mythique primordial et le chaman apparaît comme un être privilégié qui s'empare, à son compte, personnellement de la condition heureuse de l'humanité à l'aube des temps. [...]
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