En 2002, 125 371 plaintes de coups et blessures volontaires étaient déposées en France. Cela représente plus de 40 % des crimes et délits contre les personnes. Depuis 1993, ce pourcentage est en constante évolution témoignant d'un réel problème de société. La banalisation de la violence, la non intervention forment une spirale dangereuse du laisser-faire dans laquelle la victime a le sentiment d'être abandonné de tous, du fait de l'individualisme qui amène à l'oubli des valeurs collectives sans lesquelles aucune vie en société ne peut être fondée. Bien que ces histoires abondent dans les journaux, l'impact de la non assistance des témoins sur le traumatisme de la victime n'a fait l'objet d'aucune étude. C'est pourquoi, il nous est apparu intéressant de mener une étude exploratoire de ce phénomène et de voir si la présence de témoins non intervenant a un quelconque effet sur la souffrance psychique de la victime.
Le traumatisme est sûrement l'une des notions les plus complexes de la psychanalyse. Terme emprunté à la chirurgie, le trauma se définit alors par l'ensemble des lésions physiques provoquées par un agent extérieur. Étymologiquement, le mot traumatisme vient du grec et signifie blessure, désastre ou échec. Bien que la définition du psychotraumatisme ne soit pas consensuelle, Laplanche et Pontalis (1967) le définissent comme un « Événement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, l'incapacité où se trouve le sujet d'y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu'il provoque dans l'organisation psychique. En termes économiques, le traumatisme se caractérise par un afflux d'excitations qui est excessif, relativement à la tolérance du sujet et à sa capacité de maîtriser et d'élaborer psychiquement ces excitations ». Mais la notion de psychotraumatisme va bien au-delà de la conception de la médecine ou de la psychiatrie. Elle peut, en effet, prendre un sens philosophique et métaphysique dans le sens où elle pose la question de la représentation de la mort par l'homme et de l'incapacité de celui-ci de la regarder en face sans risquer une blessure de l'âme. Mais il faut préciser que, dans son acceptation médicale ou psychiatrique, le traumatisme n'est d'usage que lorsque le sujet a été confronté au réel de la mort, que ce soit la sienne ou celle d'autrui. Cette confrontation va provoquer une effraction dans l'organisation psychique du sujet avec comme conséquences l'ensemble des réactions psychiques que l'on regroupe sous les termes de « névrose traumatique », « état de stress post-traumatique » ou « troubles psychotraumatiques ».
Le premier auteur à avoir introduit le concept de trauma est un psychiatre allemand, Herman Oppenheim, en 1884 dans Les archives de Westphalie. Il considérait que l'agent traumatisant provoquait une réaction d'effroi (schreck) qui induirait alors un ébranlement psychique ou affectif « tellement intense qu'il en résulte une altération psychique durable ». Freud (1920), quant à lui, a commencé à développer sa théorie de la névrose traumatique dans les années vingt. Pour lui, le trauma est un processus de choc, dynamique et énergétique. Ce processus met en jeu l'intensité de l'énergie véhiculée par l'agent traumatisant et le degré d'énergie dont la victime dispose pour faire face à la violence et à la soudaineté de l'évènement. La conception originale de Freud est qu'elle met l'accent sur l'effet de surprise. Pour lui, la survenue d'un traumatisme dépend moins de l'intensité de l'agent traumatisant que du niveau de préparation de l'appareil psychique du sujet. Cela va entraîner ce que Freud a appelé une « effraction » : si l'on prend l'appareil psychique comme un corps, il y aura pénétration à l'intérieur de ce corps psychique d'une image qui ne devrait pas s'y trouver. Une image qui vaut pour « soi comme mort ».
Pour Otto Rank (1945, 1958), l'homme doit toujours croire en une seconde réalité. Il s'imagine qu'il vit dans un monde meilleur que celui qui lui est donné par la nature. Dans notre société moderne, l'entretien de cette illusion permet à chacun de se percevoir comme invulnérable, protégé par les autres et par la culture. Selon Louis Crocq (1993), l'être humain serait sous-tendu par trois convictions narcissiques : celles d'invulnérabilité, d'un environnement protecteur et celle d'un autrui secourable. Ces convictions permettent à l'homme une lecture illusoire du quotidien de la société qui finiront par être tenues pour idées naturelles. Pour la victime, une agression physique frappe donc de plein fouet ces croyances en la nature humaine. De plus, selon Brunet et Casoni (2002), la scène d'agression peut jouer un rôle remémoratif inconscient de la vulnérabilité des bons objets internes faisant remonter à la surface l'anxiété fondamentale concernant l'existence et l'intégrité de chacun.
Selon Lionel Bailly (2001), de même que l'enfant a des théories sexuelles infantiles, il a également des théories sociales infantiles portant sur les relations sociales mais aussi sur des scénarios d'évènements de vie. Tant que l'homme n'a pas connu une situation d'agression, il garde la certitude que si cette agression se déroulait en présence d'autres personnes, ces dernières viendraient lui porter secours – conformément à sa conviction narcissique d'un autrui secourable.
Pour François Lebigot (2001), au moment de l'effraction par le réel de la mort, les personnes – prises d'effroi – quittent pour un instant la communauté des vivants, ce qui peut se traduire par un sentiment de honte mais aussi d'abandon par tous les autres. La victime risque alors de s'isoler, de créer un vide autours d'elle et parfois même de s'éloigner progressivement de son entourage le plus proche. Barrois (1998) parle de rupture sociétale qui amorcerait la rupture de l'individualité. Le traumatisme psychique engendré par la rupture des liens avec le monde social atteint le sujet traumatisé dans son unicité : il est réduit à l'état d'objet et est dépossédé de ce qui fait son appartenance au genre humain. Cette rupture communautaire fait de la victime un être à part dans cette expérience, avec un sentiment passif d'avoir été abandonné.
Cette étude cherche à montrer que le sentiment d'abandon présent chez toutes victimes d'agression physique se trouve aggravé lorsque l'agression physique avec coups et blessures a eu lieu dans un lieu public, avec des témoins susceptibles de venir en aide à la victime. Pour vérifier cette hypothèse, nous disposons de deux indicateurs : un indicateur institutionnel concernant le dépôt de plainte et le degré de recherche d'aide ; et un indicateur plus psychologique, se fondant, entres autres, sur la symptomatologie de la névrose d'abandon définie par Germaine Guex (1950). Il est à noter que le sentiment d'abandon a été très peu étudié, c'est pourquoi la nomenclature choisie l'a été car elle est actuellement la seule existante.
[...] Pour la victime, une agression physique frappe donc de plein fouet ces croyances en la nature humaine. De plus, selon Brunet et Casoni (2002), la scène d'agression peut jouer un rôle remémoratif inconscient de la vulnérabilité des bons objets internes faisant remonter à la surface l'anxiété fondamentale concernant l'existence et l'intégrité de chacun. Selon Lionel Bailly (2001), de même que l'enfant a des théories sexuelles infantiles, il a également des théories sociales infantiles portant sur les relations sociales mais aussi sur des scénarios d'évènements de vie. [...]
[...] Cette confrontation des illusions personnelles et collectives que suscite l'expérience d'abandon dans une agression physique en présence de témoins mériterait tout un développement. Bibliographie Bailly L. (2001). Syndrome psycho-traumatiques chez l'enfant in De Clercq M. & Lebigot F. Les traumatismes psychiques. Paris, Masson, 137-147 Barrois C. (1998). Les névroses traumatiques. Paris, Dunod. [...]
[...] Caractéristiques de l'évènement traumatique Les caractéristiques de leur agression sont les suivantes. L'agression s'est déroulée pour deux sujets dans les transports en commun parisien dans le métro et J dans le RER) et pour deux sujets dans la rue : sur un grand boulevard et P : à la sortie d'une boîte). Sauf pour les agressions ont eu lieu de jour. Leurs agresseurs étaient tous masculins et au nombre de quatre pour un pour deux pour J et deux pour P. [...]
[...] Guex G. (1950). Le syndrome d'abandon. Paris, PUF Laplanche J. & Pontalis J.B. (1967). Vocabulaire de la psychanalyse. Paris, PUF Lebigot F. (2001). Répercussions psychiatriques et psychologiques immédiates in De Clercq M. [...]
[...] Il est à noter que le sentiment d'abandon a été très peu étudié, c'est pourquoi la nomenclature choisie l'a été car elle est actuellement la seule existante. Méthode Population L'échantillon est constitué de quatre sujets : deux filles : 20 ans et C : 21 ans) et deux garçons : 20 et P : 23 ans). Les sujets choisis sont des victimes d'agression physique avec coups et blessures. Ils ont été recrutés d'après les circonstances de leur agression : elle s'est déroulée dans un lieu public, en présence de témoins qui étaient susceptibles de leur venir en aide mais qui ne sont pas intervenus. [...]
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