En 1990 George Franklin fut accusé, sur base des seuls souvenirs retrouvés à cette période par sa fille Eileen, du meurtre d'une fillette de 9 ans retrouvée assassinée en 1969 ! Vingt ans après ce drame, Eileen s'est en effet soudainement remémoré un épisode où elle voyait son père fracasser le crâne de la jeune enfant. Ce flash apparut à Eileen alors qu'elle regardait les yeux de sa propre fille. Elle tenta bien durant plusieurs mois de se débarrasser de ce souvenir, mais son psychothérapeute la rassura sur son état de santé mentale et, de ce fait, sur la véracité biographique du souvenir; quant à son mari, il lui conseilla d'en parler à la police.
Lors de sa déposition, Eileen fournit des informations très détaillées sur l'environnement, les émotions ressenties, les conversations échangées : ce « souvenir » avait donc la qualité d'être extrêmement précis. Il apparut cependant au cours du procès que nombreux de ces détails avaient été relatés dans la presse au cours des mois suivant l'assassinat de la fillette. On peut donc penser que ses détails, qu'elle connaissait, ont été insidieusement incorporés en tant qu'éléments constitutifs de son souvenir. Eileen modifia en outre à de maintes reprises ce souvenir tel qu'elle l'avait initialement déposé : au départ, elle situa l'heure du meurtre dans la matinée…pour ensuite la resituer au cours de l'après-midi (George Franklin n'ayant pu assassiner la fillette au moment initialement mentionné, puisqu'elle était sur les bancs de l'école toute la matinée, Eileen dut conséquemment rendre à son récit une certaine plausibilité) ; lors de sa première déposition, elle déclara que le souvenir lui était apparu plus clair qu'autrefois, c'est-à-dire qu'elle ne l'expliqua pas comme un souvenir refoulé qu'elle aurait subitement récupéré. En effet, elle précisa qu'elle avait tenu ce fait secret sous les menaces de mort de son père, alors que plus tard elle affirmera que le souvenir lui était revenu au cours d'une séance d'hypnose en psychothérapie. Elle en parlera à sa mère et à son frère. Mais quelques mois plus tard, sa version changera : elle ne parlera plus d'hypnose mais d'une thérapie classique. Elle demanda à son frère de ne pas parler d'hypnose dans le cas où la police l'interrogerait.
George Franklin fut accusé du meurtre de la fillette le 29 novembre 1990, mais la condamnation fut annulée en 1995 car, entre-temps, Eileen avait retrouvé un autre souvenir concernant cette fois le viol et le meurtre supposément commis par son père sur une autre jeune fille. Cependant, une analyse A.D.N. du sperme de Franklin fut réalisée et l'innocenta. En outre, on a pu prouver qu'il se trouvait ailleurs que sur le lieu du crime au moment où celui-ci a été perpétré. Quoiqu'il en soit, George Franklin aura dû passer près de 6 ans de sa vie en prison pour un crime que l'on sait désormais qu'il n'a pas commis.
On sait aujourd'hui que le cas qui vient d'être présenté n'est pas isolé : d'autres cas similaires et tout autant dramatiques d'erreur d'attribution de la source ont été rapportés de manière détaillée. Ces exemples malheureux ne nous dévoilent néanmoins qu'un des deux pôles de la problématique des souvenirs retrouvés.
Certes, si en considérant erronément que des soi-disant souvenirs retrouvés sont corrects alors qu'ils sont illusoires, nous participons à une accusation grave d'individus innocents, comme nous venons de le voir, il ne faut pas en oublier pour autant que le pattern inverse peut également être rencontré et qu'en considérant à tort que des souvenirs exacts sont faux, nous nions une réalité et sommes responsables d'une impunité. Nous nous trouvons donc bien devant un sérieux dilemme, face auquel aucune position définitivement polarisée ne peut être légitimement adoptée : l'appréhension au cas par cas semble ici la moindre des nécessités.
[...] On leur administra également quatre échelles en cinq points de type Likert : 1. Une échelle évaluant la croyance en la réalité biographique de l'expérience infantile (from ‘definitely a real memory' through ‘unsure' to definitely a fantasy') Une échelle évaluant le degré d'effacement de leur self d'adulte pendant l'expérience infantile (from at all' through a moderate degree' to ‘completely') Une échelle évaluant le degré d'absorption des sujets dans l'expérience (idem) 4. Une échelle évaluant le degré de vivacité avec lequel ils se sont sentis redevenir enfant (from at all vividly' through ‘moderately vividly' to ‘extremely vividly'). [...]
[...] - la réalité de l'oubli (la personne ne doit pas avoir eu de souvenir de l'événement avant l'expérience de recollection) - la réalité de l'expérience recollective (la personne doit avoir fait l'expérience phénoménologique de se souvenir de l'événement dont elle n'était pas consciente auparavant) Etant donné que dans les cas précédents il est possible que toutes les précautions n'aient pas été prises pour évaluer les informations eu égard à ces trois critères, on citera complémentairement quelques cas pour lesquels Schooler et al. en ont assuré une évaluation systématique. Premier cas : J.R. Il s'agit d'un homme de 39 ans qui a été interviewé neuf ans après son expérience de récollection. Le soir où celle-ci survenu, il était allé voir un film dans lequel les personnages étaient confrontés à des souvenirs d'agressions sexuelles. Au cours de la projection, J.R. s'est senti de plus en plus nerveux sans en comprendre les raisons. [...]
[...] Toute la question consiste donc désormais à en attribuer l'origine causale. Pour Schacter, Loftus et Ceci, un tel oubli peut être attribué aux processus habituels d'oubli : le déclin de la trace mnésique, l'interférence, le recours à des processus de suppression consciente et dans certains cas, le phénomène d'amnésie infantile (lorsque les abus ont eu lieu durant la petite enfance de la victime).Une hypothèse supplémentaire tout à fait raisonnable mais n'impliquant en rien des mécanismes d'oubli consiste à affirmer que les souvenirs d'abus seraient dépendants du contexte, d'où la difficulté à récupérer ces souvenirs car notre vie quotidienne nous replonge rarement dans un contexte similaire à celui dans lequel l'information (ici l'abus) a été encodée. [...]
[...] L'enquête de Yapko (1995) nous informe ainsi qu'environ la moitié des psychothérapeutes font davantage confiance aux détails d'un événement traumatique lorsqu'ils sont obtenus sous hypnose. Quatre-vingt pour-cent d'entre eux considèrent en outre qu'il est possible de suggérer des faux souvenirs à quelqu'un qui les estimera ensuite comme étant de vrais souvenirs ; donc a contrario un thérapeute sur cinq estime que cette affirmation est fausse. Mais l'hypnose constitue-t-elle une technique fiable pour favoriser la récupération de souvenirs exacts ? Une analyse d'Erdelyi (1994) conclut que les performances mnésiques ne sont pas meilleures en condition hypnotique qu'en condition normale. [...]
[...] Soulignons encore au passage que la British Psychological Society adopta une démarche semblable à celle de Schacter en proposant d'arrêter délibérément de se cantonner sur des positions extrêmes Les mécanismes à la base de l'oubli d'un abus Comme nous l'avons vu précédemment, un mécanisme souvent invoqué par les psychothérapeutes pour expliquer l'oubli d'abus sexuels précoces est le mécanisme de refoulement. Mais que signifie ce terme auquel les professionnels et le grand public ont généreusement recours, et quelle en est brièvement son histoire ? En fait la première conception du refoulement telle que définie par Freud (la seconde sera discutée plus bas) renvoie à un processus intentionnel consistant à rejeter des émotions, des idées ou des pensées hors du conscient. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture