Autrefois traité à travers le filtre de la moralité ou du joug religieux, le corps sexualisé est aujourd'hui devenu monnaie courante, banalité, norme, dans le discours social. Les articles, livres, revues, études et autres, consacrés au corps et à ses traitements sexuels sont devenus quasi inévitables. Encore dans son tout récent ouvrage, Histoire du corps 3 , Jean-Jacques Courtine explique les diverses « mutations » auxquelles le corps a dû faire face au cours du XXe siècle. Mutations tant scientifiques, que génétiques, symboliques, voire même politiques, qui remirent en question l'identité (sexuelle) du regardeur autant que de l'Art lui-même. « Le XXe siècle a inventé théoriquement le corps », nous dit Courtine dans son introduction. C'est précisément cette théorisation qui nous intéressera ici. Cette théorisation induit un discours qui permet cette mutation des corps, tout comme la redéfinition des arts, la démocratisation du sexe et, par conséquent, la sexualisation de la pensée. Une mutation formelle, qui influencera les modes de « spectature » (soit, les attentes du spectateur à mesure que le spectacle se déroule) et des divers genres artistiques, et une mutation iconographique qui remettra en question les symboles de ces corporéités.
[...] Le regard seul fait du spectateur une éponge. Nous regardons, nous subissons. Le regard mêlé à l'intérêt, au désir de digérer l'image, de la mâcher, élève alors le public au rang de regardeur. Il n'est plus un simple spectateur, il n'est plus seulement face à un spectacle. Il se retrouve face à lui- même, face à une représentation de son corps dont les limites ont été repensées. Exposé à ces corps excédés, excessifs, le spectateur devient actant de l'oeuvre parce que recevant, parce que choqué. [...]
[...] Mais la caméra suivra pourtant le héros, et sortira avec lui. François ne connaîtra pas la réaction de sa maîtresse et le public non plus. Habitué à connaître toutes les facettes des personnages, le spectateur vivra extrêmement mal cette frustration. Il se rendra compte de son impuissance face à la caméra. Outre l'opposition entre le cinéma et le théâtre, la place du récepteur a également une spécificité en littérature. Il est d'ailleurs courant d'opposer la collectivité qu'obligent le cinéma ou le théâtre, à la solitude que requiert la lecture. [...]
[...] Inlassablement, comme un boomerang indomptable, un pôle d'appel et de répulsion met celui qui en est habité littéralement hors de lui[36]. Ce paragraphe, qui introduit la pensée de Kristeva, expose très clairement le dispositif émotif entourant la notion d'abjection. Un rapport attraction- répulsion très fort qui serait lié à l'impossibilité de reconnaître la frontière entre le soi et l'autre. Faut-il montrer cet ailleurs que le corps incarnerait, ou devons-nous le symboliser, le dogmatiser ? Notre possible, tolérable et pensable n'est pas visuellement remis en question avec Chéreau. [...]
[...] Jusqu'à quel point le spectateur est-il éponge voyeur ou atteint ? Jusqu'à quel point fait-il corps avec ceux qu'il regarde ? Quand devient-il regardeur ? Michaël Lachance, philosophe québécois spécialiste d'esthétique, orientera également ma réflexion avec son très précieux livre, Frontalités. Censure et provocation dans la photographie contemporaine. À l'aide de son travail sur lequel je reviendrai régulièrement, j'examinerai les œuvres qu'il nomme à la limite[67] et dont il se sert pour questionner le spectateur dans l'épreuve idéologique qu'il vit, et subit. [...]
[...] Plus que la quête elle-même, ce sont sur les lieux entourant l'action que le réalisateur s'attardera. Le personnage d'Henri, plongé dans cet environnement, devient anti-héros, animal pour reprendre le mot de Parant. Le lieu s'avère capital dans la description des corps car, à travers leurs représentations physiques (gare, toilettes, terrains vagues Chéreau propose une métaphore du corps de l'être aimé. Le désiré, l'insaisissable, l'intouchable, et pourtant prostitué, pourtant à tout le monde, offert, marchandable, qu'Henri n'atteindra que par la mort. [...]
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