Lorsque nous écoutons de la musique, il nous est facile de percevoir une fausse note. En fonction de la note entendue, nous pouvons facilement prédire celle qui la suivra, d'où notre surprise si elle ne correspond pas à nos attentes et perturbe l'harmonie de la suite musicale. En matière de réalisations motrices, un phénomène similaire s'observe. Nous savons que l'être humain est doté d'une compétence visuelle de perception des mouvements biologiques (Johansson, 1973). En d'autres mots, nous sommes capables de reconnaître les mouvements effectués par nos congénères. Mais le système nerveux ne se contente pas de reconnaître ces mouvements biologiques, ils les utilisent pour prédire les actions susceptibles de se dérouler dans un futur proche. C'est ainsi que, selon la manière dont nous nous saisissons d'un objet, autrui peut facilement deviner ce que nous allons en faire (le jeter, le poser, etc.). On parle d'anticipation perceptive. Celle-ci serait « la conséquence d'activation de structures engagées dans l'anticipation motrice, c'est-à-dire d'aires motrices participant à la planification des mouvements » (Meary, 2010). Par exemple, c'est parce que les mouvements des lèvres destinés à produire un son dépendent des contraintes articulatoires imposées par l'émission du son suivant que nous sommes capables de prédire la nature de ce son final.
L'objectif de notre expérience est de mettre à jour cet effet d'anticipation perceptive, dans le domaine de l'écriture cursive. Lors de l'écriture d'un digramme, le tracé de la première lettre est influencé par celui de la lettre qui le suit. En sélectionnant les digrammes « ll » et « ln », nous nous attendons à ce que les participants perçoivent implicitement les différences entre le « l » du digramme « ll » et le « l » du digramme « ln » et parviennent, de ce fait, à prédire si la seconde lettre sera un « l » ou un « n ».
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Les participants sont des étudiants de L2 de psychologie. Venus pour assister à leurs travaux dirigés de psychologie cognitive, on leur propose de prendre part à l'expérience. Ils n'ont donc pas été sélectionnés en fonction de critères spécifiques : ce sont des étudiants des deux sexes, âgés en moyenne de 19 ans et ne présentant aucun trouble susceptible d'entraver la bonne compréhension et la bonne réalisation des consignes expérimentales. La classe est divisée en sous-groupes et nous présenterons les résultats d'un sous-groupe de 10 étudiants (...)
[...] Du mouvement de traçage, on ne perçoit que le point lumineux représentant l'extrémité du crayon utilisé pour écrire. Seule la première lettre est montrée, le film est interrompu à la fin de l'écriture de cette première lettre. Votre tâche est de prédire la seconde lettre du digramme, qui peut être soit un soit un Chaque présentation de est espacée de 4 secondes, temps pendant lequel vous pouvez écrire votre réponse. Le film comporte 20 essais, c'est-à-dire 20 successions de Nous demandons aux participants de réaliser un simple tableau sur une feuille, afin de pouvoir inscrire leur réponse pour chacun des 20 essais. [...]
[...] (2004). Implémentation de mécanismes d'anticipation visuo-motrice en téléopération. Le travail humain, 2004/3 Vol p.209-233. [...]
[...] Résultats Les informations contenues dans la première lettre d'un digramme nous permettent-elles de prédire la nature de la deuxième lettre du digramme ? Les 10 participants que nous avons évalué ont tous obtenu une note supérieure à 14, c'est-à-dire que leur nombre de bonnes réponses diffère significativement du hasard. La moyenne de leurs 10 scores vaut 17,6. Participant Score Moyenne des bonnes et mauvaises réponses prédictives Bonnes réponses Mauvaises réponses Les participants semblent confirmer nos attentes dans la mesure où, dans 17,6 essais sur 20, ils ont été justes dans leurs prédictions quant à l'identité de la seconde lettre du digramme. [...]
[...] (Orliaguet, Kandel et Boë ; Kandel, Orliaguet et Viviani, 2000), nous a permis de tester l'hypothèse d'une anticipation perceptive dans la production écrite. Les participants sont capables de prédire l'identité de la seconde lettre d'un digramme en se basant sur les indices cinématiques fournis par la première lettre. Ils ont donc une connaissance, au moins implicite, des règles d'anticipation motrice. Il convient cependant de relever certaines limites de l'expérience, afin d'en permettre une réplication plus optimale. Tout d'abord, le nombre de participants testés est faible et laisse donc peu de place à la généralisation. [...]
[...] Cela illustre le phénomène d'anticipation perceptive selon lequel notre système visuel utilise les informations contenues dans la première composante d'un geste moteur afin d'en prédire la composante suivante. Ce comportement d'anticipation visuelle constitue une admirable stratégie mise au point par la nature pour pallier les limitations spatio-temporelles inhérentes à notre système visuo-moteur, à tel point qu'aujourd'hui, en bionique, les chercheurs essayent de transposer ces propriété fonctionnelles sur les robots. Ils ont implémenté un système visuo-moteur anticipatoire à des robots mobiles de téléopération et ont observé une amélioration de la rapidité et de la régularité de leurs trajectoires, à l'instar de la locomotion humaine appuyée par les facultés prédictives du cerveau (Rybarczyk et al., 2004). [...]
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