Jacques Derrida, Elisabeth Roudinesco, De quoi demain..., auteur, oeuvre, littérature, psychologie sociale, psychanalyse, Freud, inconscient freudien, apories cliniques, tremblements, philosophe, technique analytique
« L'inconscient freudien n'a absolument rien à faire avec ce qu'on a appelé jusqu'ici "inconscient" », dit Lacan. L'inconscient freudien ne correspond pas à ce qui n'est pas présent à la conscience. Il n'est pas l'inconscience, ou le rêve, l'illusion, le caché, l'oublié, l'ivresse, et tout ce qui a été mis dans la catégorie de l'inconscient précédemment. Ce qu'indique Freud avec l'Unbewusste, c'est le lieu du refoulement originaire, autant que l'économie du refoulement lui-même. L'inconscient freudien est une révolution parce qu'il indique, pour utiliser un mot cher à Lacan, un « trou » dans le savoir du Sujet. C'est ce « trou » qui cause le « tremblement de terre » dont parle Derrida.
[...] Ce que demande Derrida, en effet, n'est rien moins que « l'au-delà de l'au-delà du principe de plaisir, l'au-delà de la pulsion de mort, l'au-delà de la pulsion de pouvoir souverain ». Mais la jouissance est précisément ce qui toujours résiste. Au fond, ce que Freud écrit en filigrane en 1920, c'est que la psychanalyse ne peut justement pas être effectuée. Elle est asymptotique : on tend vers la psychanalyse, sans jamais la toucher. Ainsi le constate-t-on bien sur sa plus célèbre photographie - sourcil frondé, barbe blanche, complet trois-pièces, montre gousset et cigare à la main : Freud ne se déride pas. [...]
[...] Ainsi comprend-on que Derrida puisse nous dire que jusqu'à présent, la psychanalyse n'a pas été prise en compte. Mais le philosophe choisit trois mots pour indiquer les endroits où « ça » coince : la psychanalyse devrait être prise en compte « sérieusement, effectivement, pratiquement ». De cette suite d'adverbes, il ressort que nous sommes jusqu'à présent dans une sorte d'enfance de la psychanalyse, où l'on s'amuse, où ce n'est pas sérieux, encore moins effectif ni pratique. Nous étudierons donc dans un premier temps la manière dont nous pouvons entendre ce triple défaut de prise en compte de la psychanalyse et les « tremblements » qui seraient à venir. [...]
[...] Derrida a certainement raison de souligner que la psychanalyse ne s'est pas réalisée puisqu'elle ne s'est pas traduite politiquement dans le lien social. Jusqu'à présent, le politique reste le champ d'expression de la volonté de pouvoir, de la volonté de jouissance. On voit bien comment, poussée à son terme, l'application sérieuse de la psychanalyse aboutirait à la disparition pure et simple du politique. Le tremblement serait en effet énorme, et nous n'y sommes pas : nous étudierons ci-après ce qu'il y a d'impossible dans cette réalisation pleine de la psychanalyse. [...]
[...] Lacan martèle ainsi qu'il n'y a pas de psychanalyse appliquée, que la psychanalyse concerne uniquement ce qui se produit entre un analysant et son psychanalyste, qu' « il n'existe pas de psychanalyse collective, comme il n'existe pas d'angoisses ou de névroses de masse ». La psychanalyse, en tant que telle, n'est donc absolument pas quelque chose qui serait, selon les mots de Derrida, à « prendre en compte » : elle se produit dans le transfert, entre l'analyste et l'analysant, et voilà tout. [...]
[...] Il ne fait que mettre sous une forme logique qui convient à sa sensibilité la somme de ses symptômes. Or, n'est-ce pas là justement ce que Freud appelle « Weltanschauung » ? Nous nous heurtons donc au fond d'une impasse dès que l'« on » tente d'appliquer la psychanalyse. Conclusion : imaginer l'au-delà ? La psychanalyse ne peut subvertir que le désir singulier du Sujet, et il semble bien que toute traduction politique vire à la parodie perverse et à la violence pulsionnelle de l'emprise (« Bemächtigungstrieb »), qui est consubstantielle à la volonté de puissance et à l'exercice du pouvoir. [...]
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