« Inquiétante étrangeté » traduit le mot allemand « Das Unheimliche ». Ce mot est composé de l'adjectif substantivé formé de la racine Heim (le « chez soi », proche de l'anglais home), précédé du préfixe privatif un. Il est difficile de trouver un terme français qui soit l'équivalent du terme allemand, mais à défaut, on peut le traduire par « inquiétante étrangeté » en soulignant toutefois que la traduction ne rend pas : 1) le Heim de la maison et de la familiarité, 2) le un de la censure. D'une manière générale, l'Unheimliche est le non-familier, le familier étrange ou encore le familier qui diffère du familier de chez soi.
« Das Unheimliche » fait partie de ces termes qui ne peuvent pas recevoir de significations précises et donc que l'on emploie généralement pour désigner ce qui provoque l'angoisse en général. L'enjeu de cet article est donc de trouver son noyau spécifique, c'est-à-dire ce qui distingue conceptuellement des autres types d'angoisse le terme précis d' « étrangement inquiétant ». Mais dès le début, Freud remarque une ambiguïté qui s'avère problématique. Ce qui est unheimlich (inquiétant) ne s'oppose pas frontalement à son contraire sémantique heimlich (familier), ces deux termes peuvent même s'employer indifféremment l'un pour l'autre. Freud cherche va donc chercher à retrouver l'origine de cette équivocité, et tenter par cet article de répondre « à quelles conditions le familier peut devenir étrangement inquiétant, effrayant ».
[...] Les cas indubitables d'inquiétante étrangeté Dans le texte de Schiller L'anneau de Polycrate, l'invité se détourne avec horreur car il s'aperçoit que chaque désir de son ami se réalise aussitôt. Son hôte est devenu pour lui unheimlich. L'explication qu'il donne est que celui qui est trop heureux doit craindre l'envie des dieux. Or ce sens est mythologiquement voilé : il repose sur la croyance en l'existence d'êtres supérieurs : les dieux. La source de cette angoisse est banale : n'importe qui craint l'envie des autres en projetant sur eux l'envie qu'il aurait éprouvée dans la situation inverse. [...]
[...] L'écrivain n'obtient ainsi jamais un effet d'inquiétante étrangeté pur. Il peut cependant encore esquiver notre protestation, en ne nous laissant pas deviner durant un long laps de temps, sur quels présupposés précis, il a choisi d'établir son monde et il peut même aller jusqu'à une malicieuse dérobade en évitant, jusqu'à la fin du récit, tout éclaircissement. Si parfois le sentiment d'inquiétante étrangeté ne se produit pas, alors que toutes les conditions requises sont remplies, c'est que nous nous identifions à un personnage précis qui, au moment de l'action, ne ressent pas lui-même un sentiment d'inquiétante étrangeté, mais un sentiment d'un type différent. [...]
[...] Il faut ajouter que cet effet d'inquiétante étrangeté ne peut pas être provoqué par une incertitude intellectuelle. Dans le récit de L'Homme au sable, Hoffmann ne cherche pas à présenter les élucubrations fantasmatiques d'un fou, il place le lecteur dans un monde où la réalité elle-même est donnée comme étrangement inquiétante. L'angoisse d'une castration du regard L'expérience psychanalytique nous apprend que la peur de perdre ses yeux est une angoisse infantile effroyable. Ce caractère précieux des yeux se retrouve dans la phrase : tenir à quelque chose comme à la prunelle de ses yeux. [...]
[...] La magie et les forces occultes Il arrive de dire qu'un homme vivant est étrangement inquiétant, lorsque nous lui prêtons de mauvaises intentions (par exemple : le jeteur de sort). Dans Faust, Méphisto parait étrangement inquiétant à la pieuse Gretchen par le pressentiment des forces occultes qui se trouvent liées à lui. L'épilepsie et la folie peuvent être perçues également comme des manifestations de ces forces, par l'action de démons. La psychanalyse elle- même parce qu'elle met à jour ce qu'il y derrière les forces occultes, devient étrangement inquiétante pour beaucoup de gens. [...]
[...] La nostalgie du ventre maternel Le dernier exemple, tiré de l'expérience psychanalytique, doit apporter la confirmation de la conception freudienne de l'inquiétante étrangeté. Souvent les hommes névrosés considèrent le sexe féminin comme étrangement inquiétant. Or ce sexe est le lieu ou tout homme a séjourné une fois et d'abord. C'est le lieu de la naissance. C'est pourquoi l'amour est le mal du pays déclare un mot plaisant. Un lieu bien connu, où on est déjà venu peut aussi s'interpréter comme le sexe ou le sein de la mère. [...]
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