Dans "Il faut défendre la société", retranscription de cours de 1976 donnés au Collège de France, Foucault tente d'effectuer la généalogie de ce discours qui, derrière les apparences et la mise en scène du pouvoir politique, établit la guerre comme élément premier et moteur. Ce discours est un discours historico-politique qui fait de l'histoire une histoire de la guerre des races, et qui vient concurrencer l'appareil discursif juridico-philosophique où l'histoire était une histoire de l'Etat, c'est à dire une histoire qui ne cessait de répéter et de ré-affirmer la continuité et la légitimité de la souveraineté du pouvoir étatique.
Les derniers cours se penchent plus précisément sur un glissement particulier: d'un discours de "guerre des races" qui a avant tout une valeur critique, polémique, et qui est extérieur à l'Etat (puisqu'il s'agit justement pour certains groupes d'aller voir derrière les apparences de la souveraineté étatique, d'aller repérer la guerre derrière la politique), on va passer à un racisme d'Etat, c'est à dire à une utilisation étatique de ce discours raciste qui devient un rouage du discours politique.
C'est cette transplantation du discours raciste que nous allons essayer d'interroger: comment, pourquoi cette analyse en termes de guerre des races qui servait à l'origine d'outil polémique pour un groupe déterminé (par ex: l'aristocratie française en déclin, au 18ème siècle) va finir par devenir un appui indispensable, d'après Foucault, à l'exercice de la biopolitique par les Etats modernes (Etats démocratiques, fascistes, socialistes) ? Que nous apprend cette généalogie quant à la place et à la fonction de la notion de guerre dans l'exercice du pouvoir étatique moderne?
[...] À la même époque en France, on peut constater, nous dit Foucault, que l'invasion (des Francs cette fois) est également un motif essentiel pour la compréhension du pouvoir monarchique : c'est la vérité historique de l'invasion qui doit dire la légitimité du roi, la nature et ses limites de son pouvoir. L'histoire est alors, selon Foucault, une leçon de droit public. Mais en cela elle ne diffère pas fondamentalement de l'ancienne histoire: il s'agit encore une fois de réaffirmer par la tenue d'un discours historique la continuité du pouvoir, sa légitimité: il s'agit de lier, par un édifice historique (ou historico-mythologique), l'actuel et l'ancien, et d'établir la lignée de la souveraineté dans son ensemble. [...]
[...] Ce discours de la guerre des races s'intéresse donc non seulement à la guerre concrète (celle des champs de bataille), mais la prolonge jusque dans les périodes de paix; elle fait de la guerre le chiffre de la paix, et de cette dernière le lieu d'une guerre sourde et continue, incessante: la guerre des races. Origine du discours de la guerre des races Nous disions donc que ce discours naissait au XVII° siècle ; à l'extrême nous dit Foucault, il signe la fin du Moyen-Âge en tant que celui-ci avait conscience de perpétuer quelque chose de l'ancienne Rome ou de l'Antiquité en général. [...]
[...] Il s'agit là d'un ensemble économico-politique: les travaux (agriculture, artisanat, industrie, commerce, arts) et les fonctions (armée, justice, église, administration). Cet ensemble fonctionnel, cette infrastructure nationale doit pouvoir être formé par un groupe, avant que celui-ci puisse prétendre au statut de nation. D'autre part, ce qui fait qu'une virtualité de nation devient une nation réelle, c'est un codage juridique: le groupe (la virtualité nationale) doit posséder une législature, et se donner une loi commune par son moyen. On le voit donc, dans cette définition dédoublée, ce qui permet l'effectuation de la nation, c'est la formation d'un Etat, c'est sa réalisation dans l'unité étatique. [...]
[...] À côté de cela allait se créer, à l'époque de la Révolution, une nouvelle conception de la nation, bourgeoise celle-ci: ni reprise de l'une ou l'autre, ni synthèse, ni simple mélange, il s'agira d'une thèse neuve qui articulera toutefois de manière différente des éléments discursifs déjà utilisés auparavant. C'est le célèbre texte de Sieyès sur le Tiers-Etat qui servira à Foucault pour donner un exemple de cette conception bourgeoise de la nation qui apparaît avec la Révolution. Sieyès donne une définition double de la nation, ou du moins en deux temps. D'une part, des conditions de possibilité matérielles et substantielles : ce que doit déjà posséder un groupe pour qu'il puisse devenir une nation, pour qu'il soit une nation en puissance. [...]
[...] C'est-à-dire qu'à chaque fois que l'Etat doit pouvoir tuer, à chaque fois qu'il doit justifier la mise à mort d'une partie du corps social , il devra invoquer la seule nécessité légitime pour un pouvoir qui a plus ou moins renoncé à la structure du pouvoir souverain doté du droit de glaive pour se concentrer sur la vie, sur le comment de la vie, afin de la faire croître et prospérer : il sera obligé de justifier la mise à mort par les nécessités de la vie, par la croissance de la vie, par l'optimisation de celle-ci. Il devra justifier l'élimination de la mauvaise race au nom de la santé de l'espèce en général (de l'extension de la bonne race). Foucault remarque donc que ce racisme d'Etat apparaît aux endroits précis ou il est nécessaire d'administrer la mort : point privilégiés de mise en forme de ce nouveau discours. [...]
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