Tout oppose a priori Régis Debray et Zhao Tingyang, qui signent un ouvrage d'échanges épistolaires aux éditions Les Arènes, Du Ciel à la Terre. Debray est un écrivain français. À 25 ans il s'engage aux côtés de Che Guevara, en 1981 il est conseiller à l'Élysée de François Mitterrand. Auteur d'une œuvre abondante entre littérature, philosophie, politique et médiologie, il croit à l'importance des frontières et des nations. Zhao Tingyang est un philosophe chinois, il a enseigné à Harvard et publié un livre fondateur, Tianxia (« Tout ce qui est dans le ciel ») qui puise dans les concepts traditionnels chinois pour comprendre le monde d'aujourd'hui. Il appelle de ses vœux un gouvernement mondial.
« La Chine se dit communiste et la France capitaliste. Un philosophe chinois devrait donc être réaliste et peu sentimental. Et un intellectuel français, idéaliste et porté sur les bons sentiments. Or c'est l'inverse. L'idéaliste, c'est vous. Le réaliste, c'est moi, » écrit Régis Debray.
[...] Il est malaisé à concevoir et bon à partager. La fonction du mythe : fédérer une population dispersée, des classes aux intérêts divergents, faire d'un tas un tout, galvaniser les énergies de tous. Seuls les mirages font avancer : les nations ont besoin de poèmes épiques, de sagas nationales, de héros légendaires, de pères de la patrie (Mao, de Gaulle, Che Guevara, Nelson Mandela, Washington Mensonge et confort Une biosphère sociale découpe le monde extérieur à sa convenance et sélectionne les informations les plus propres à satisfaire ses préjugés ou sa sécurité psychique. [...]
[...] Perte des vues globalisantes, que c'est en politique, dans les sciences, dans les systèmes encyclopédiques, la littérature. On préfère les textes courts, notes, lettres, journaux intimes, libelles, aphorismes, fragments épars. Pas les œuvres de grande ampleur. Pour détruire une nation, il faut d'abord déshonorer son histoire. Mais il y a un autre moyen de détruire l'autre : raconter son histoire à sa place. C'est le storytelling hollywoodien : raconter l'histoire de l'autre en images par des films techniquement admirables. C'est le soft Power qui nous fait regarder le monde à travers des yeux américains. [...]
[...] Pour diriger un pays, il faut le faire rêver, donc lui mentir, au sens non péjoratif du terme : le faire entrer dans le domaine dynamique des songes. Les mensonges élèvent. Un État n'a pas de sentiments, il n'a que des intérêts. Mais une nation a un cœur et des émotions : un leader politique doit savoir jouer sur les deux tableaux. Il faut mobiliser la nation par de grands mythes euphorisants. Le mythe est au-delà du vrai et du faux. [...]
[...] Cette vision progressiste découle de la vision chrétienne. Les deux visions semblent avoir beaucoup de similitudes, notamment dans leur structure d'antagonisme : bien et mal, dieu et diable, croyant et païen. L'histoire tendrait vers la fin de l'histoire ? Ces hypothèses ressemblent aux mythes. La vision chinoise reconnaît implicitement le concept d'infini potentiel : pas de but final, elle poursuit le présent perpétuel. Le Dieu des chrétiens semble préférer l'infini réel. Pour Leibnitz, Dieu a choisi parmi tous les mondes possibles le meilleurs, donc Dieu ne peut que préférer l'infini réel. [...]
[...] Ce fut le cas de la presse française pendant la guerre d'Algérie [réflexe patriotique] ou celui du New York Times supposé libéral et indépendant pendant la guerre d'Irak. Mais l'ère des mass médias stricto sensu est derrière nous. La civilisation numérique a changé la donne. Cette révolution technique sape l'autorité radiale d'un centre d'émission d'opinions légitimes vers une périphérie de récepteurs impuissants et passifs. Elle est fatale aux totalitarismes. Tout se met à l'horizontale. On peut émettre à sa guise. [...]
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