Le temps des révolutions : l’invention de la bureaucratie ?

Résumé du document

Le texte étudié est la retranscription des cours de Pierre Bourdieu au Collège de France, où il a été titulaire de la chaire de sociologie à partir de 1981. Ces cours prolongent son étude sur la concentration des différentes formes de capital qui conduiront à la genèse de l'Etat bureaucratique.
Bourdieu précise d'emblée que son propos ne vise pas à étudier les causes de l'émergence de l'Etat mais plutôt sur quelles logiques s'est basée cette émergence. Il différencie deux modèles d'Etat, l'Etat dynastique et l'Etat bureaucratique, et s'intéresse à la manière dont la deuxième forme naît de la première. On peut distinguer deux facteurs importants dans ce que l'auteur appelle le « processus (…) de transition de l'Etat dynastique à l'Etat bureaucratique », qui sont le système des maisons, caractérisé par la confusion entre sphères publique et privée, et l'émergence des « ministres du roi », liée à la dissociation des intérêts privés et publics.

Extraits

[...] Le temps des révolutions : l'invention de la bureaucratie ? Le texte étudié est la retranscription des cours de Pierre Bourdieu au Collège de France, où il a été titulaire de la chaire de sociologie à partir de 1981. Ces cours prolongent son étude sur la concentration des différentes formes de capital qui conduiront à la genèse de l'Etat bureaucratique. Bourdieu précise d'emblée que son propos ne vise pas à étudier les causes de l'émergence de l'Etat, mais plutôt sur quelles logiques s'est basée cette émergence. [...]

[...] La stratégie principale est celle de reproduction. Malgré les critiques qu'il adresse à la théorie du monopole développée par Elias verbale et quasi tautologique Bourdieu l'adopte pour expliquer la prééminence de la maison du roi sur les autres maisons, en s'intéressant aux atouts qui lui ont permis de se distinguer de ses concurrentes. Qu'est-ce qui a alors conduit à l'émergence de l'Etat bureaucratique ? L'accumulation des différents capitaux profite à la maison du roi, qui est un intérêt privé distinct de celui des seigneurs. [...]

[...] Celle-ci est liée à la mise en place de trois processus corrélatifs : la mutation de l'Etat dynastique en un Etat bureaucratique, le passage d'une noblesse d'Etat à une noblesse de robe, le remplacement d'un mode de reproduction familial à un mode de reproduction scolaire. On assiste ainsi à la consolidation de l'Etat bureaucratique, qui n'a plus seulement le monopole de la violence légitime (Weber) mais celui de la manipulation légitime des biens publics Bibliographie ARENDT H., Le système totalitaire: Les origines du totalitarisme, Paris, Seuil ARON R., Démocratie et totalitarisme, Folio Essais, Gallimard ARON R., Dimensions de la conscience historique, Paris, Plon TAVERSO E., Le totalitarisme. Le XXe siècle en débat (Introduction), Paris, Seuil, 2001. [...]

[...] L'émergence de l'Etat, qui organise la concentration et la redistribution des différentes espèces de capital (économique, culturel, symbolique), entraîne une transformation des stratégies de reproduction. On peut donner l'exemple, pour le capital symbolique, du passage de l'honneur féodal, fondé sur la reconnaissance donnée par la personne du roi, aux honneurs bureaucratiquement conférés par l'Etat. Bourdieu propose alors un modèle pour décrire l'émergence du champ bureaucratique et permettre ainsi le passage de la logique dynastique de la maison du roi fondée sur un mode de reproduction familial, à la logique bureaucratique de la raison d'Etat fondée sur un mode de reproduction scolaire. [...]

[...] Cette volonté conduit au détournement par les agents de l'Etat des biens que le roi est théoriquement le seul habilité à redistribuer, ce qui amène à la constitution d'un capital étatique qui serait de plus en plus détourné au fur et à mesure que la chaîne des intermédiaires s'étend. La distinction entre le public et le privé commence donc à se faire au sein du pouvoir, ce qui contribue à l'émergence d'une raison d'Etat distincte de la sphère domestique. Peu à peu cette distinction s'étend à toute la société. [...]