« Toute production importante est l'enfant de solitude », à ce jugement de Goethe (Mémoires, livre III, 15) nous pourrions sans mal opposer qu'au contraire la pluralité est l'élément nécessaire de toute œuvre, en ce qu'elle permet, justement, une multiplication des points de vue et permet ainsi l'élargissement des perspectives de cette « production ». Mais qu'entendait Goethe par solitude ? Solitude personnelle ? Méditative ? Nous serions en droit, si nous le voulions, de transposer sa phrase en « tout pouvoir est enfant de solitude », liant ainsi, non plus simplement la production, mais l'acte même de produire à cette solitude, et de par la polysémie du terme « pouvoir », nous entrerions ici dans un travail sur les notions de pouvoir politique, pouvoir comme force… Effectivement, la solitude du pouvoir semble belle et bien exister, mais en quelle mesure le pouvoir est-il dépendant de la solitude ? Y est-il inexorablement lié ? Bien plus encore, tout homme ne possède-t-il pas un « pouvoir » risquant de le mener à la solitude ? L'enjeu de ces questionnements est important puisque risquant de définir l'homme comme une entité éternellement condamnée à la solitude, et la notion d'humanité (comme communauté, c'est-à-dire de membres non pas seuls mais en complète complétude) en serait notablement affaiblie. Plus directement, la solitude est-elle une condition de l'existence humaine, et les différents pouvoirs que nous semblons tous posséder, au lieu de créer une communauté d'être semblable, ne sont-ils pas des facteurs d'isolements ?
[...] En effet, nous ne pouvons enlever à l'homme cette faculté première qui le définit et qui est son pouvoir de penser (tout au moins), qui elle-même est première factrice de solitude (ne dit-on pas du rêveur mélancolique qu'il est dans une solitude intérieure Comment l'homme, être de relation peut-il supporter cette solitude de conscience, cette solitude physique, morale, etc ? La réponse porte en un point de la question que nous avons formulé : il la supporte ou ne la supporte pas, conduisant parfois à ces actes désespérés que sont le suicide, expression finale de cette solitude bien souvent incomprise car ir-ressentie. En effet, il n'est pas nécessaire, parce qu'une solitude existentielle nous affecte, que nous en ressentions les effets négatifs ou qu'elle nous empêche de continuer à vivre. [...]
[...] Tout simplement pour se préserver, pour conserver son pouvoir, ou même pour la sûreté de l'état. En effet, le dictateur par exemple, seul au pouvoir, est contraint, ou plutôt doit se contraindre lui-même à une solitude relationnelle envers son peuple ou ses sujets, ou entretenant tout au moins une apparence d'impénétrabilité. Ainsi, le sociologue allemand Simmel écrira dans Le Secret, que le Le secret du pouvoir c'est d'avoir un secret : il semblerait ainsi que pour maintenir un état en ordre, il faille savoir à propos feindre et dissimuler (Machiavel, Le Prince), et ne pas se dévoiler, garder le secret de notre domination. [...]
[...] Dans Un roi sans divertissement, Langlois s'enferme dans une solitude, due à son pouvoir extraordinaire dans le sens de non habituel de réflexion sur lui- même et sur l'existence. Cependant, Langlois est, a fortiori, doté d'un autre type de pouvoir, militaire, celui de gouverner, mais étrangement, ce n'est pas la solitude due au manque de proximité avec les gens qui le mènera à sa perte, mais bien sa solitude intérieure, sa solitude mentale. Saucisse, tout autant que son amant ressent cette solitude qu'amène le fait de réfléchir sur soi, mais, au contraire de Langlois, supportera celle ci en goûtant à toutes les joies de l'existence, tandis que lui, reclus dans sa solitude, ne trouvera d'autre exaltation que dans l'acte ultime de divertissement qu'est le suicide . [...]
[...] Si nous avons effectivement tous un pouvoir et que le pouvoir conduit nécessairement à la solitude, n'est-on pas condamné à l'éternelle solitude ? Considérons le mot pouvoir non plus comme un nom commun, mais comme le verbe d'action, et dans un premier temps comme la puissance d'action de l'homme, son pouvoir de décision : il est bien évident que tout homme est là confronté à un type de solitude évident, personne ne pouvant prendre la moindre décision à sa place, et plus encore, personne n'étant capable d'influer sur le cours de sa pensée. [...]
[...] Cette définition de la solitude en limiterait considérablement l'étendu, et nous l'entendrons donc, pour tant que cela soit possible, comme une solitude de conscience, ou tout au moins d'opinions, c'est à dire de pensée. Tout de même, il nous faut bien faire attention à ne pas commettre d'erreurs quant au libellé de notre sujet, et nous ne traiterons jamais ici exclusivement de la solitude au pouvoir, qui supposerait la présence d'un dictateur, d'un tyran ou de tout autre homme au pouvoir de manière unilatérale, mais traiterons bel et bien de la solitude du pouvoir, à savoir la relation qu'entretiennent ces deux notions, si l'une peut aller sans l'autre C'est pourquoi nous devons faire attention à ne pas trop nous appesantir sur le règne d'un homme sur un peuple, et ne pas donc unilatéraliser notre réflexion en ne travaillant que relativement aux dictatures et autre type de tyrannie. [...]
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