L'expression « Socialisme utopique » apparaît pour la première fois dans Socialisme utopique et Socialisme scientifique de Friedrich Engels en 1880. Ce terme avait alors pour but de distinguer de manière péjorative les premiers penseurs du socialisme de la pensée formée par Marx et Engels jugée plus rigoureuse et méthodique dans l'analyse de la société capitaliste. Cependant, considérer les utopistes comme les simples précurseurs du marxisme serait faux et terriblement réducteur.
Le socialisme utopique n'est pas qu'un instant dans l'histoire du socialisme, celui de son adolescence. Il s'agit, au contraire, d'un véritable courant de pensée qui s'est développé de manière autonome et a connu son « apogée » dans les années 1820-1870 en Europe avec des auteurs comme Saint-Simon (L'Organisateur, 1819), Robert Owen (Propositions fondamentales du système social, 1837) ou Charles Fourier (Le Nouveau monde industriel et sociétaire, 1829).
Ce mouvement procède de l'utopie c'est-à-dire d'une description minutieuse d'un monde imaginaire et édénique, situé en dehors de l'espace et du temps («u-topos » : sans lieu en grec), d'une cité ou d'une communauté harmonieuse dans laquelle l'auteur projette ses fantasmes et ses songes. Différents types d'utopies ont existé au cours de l'histoire (littéraire, romanesque, critique, morale). Ici, le socialisme utopique correspond à une utopie sociale qui, contrairement aux autres utopies, expose un véritable projet politique, systématique et cohérent.
Mais quelle est la spécificité du socialisme utopique du XIXe siècle? En quoi s'inscrit-il dans son temps et a-t-il tenté et pu le transformer ?
[...] Dans le début du XIXe siècle, une époque s'achève. La théorie socialiste naissante trouve alors sa logique interne dans les crises qui secouent l'ancienne société. Metternich, homme politique autrichien, affirmait ainsi : La nouvelle Europe est en plein devenir. Entre la fin et le commencement, il y aura un chaos Le socialisme utopique est lié à cette mort et cet élan, à ce chaos et à ce monde en formation.1 Au coeur du socialisme utopique : des projets et des idées pour le XIXe siècle Le socialisme vise en effet à réorganiser la société sur des bases radicalement différentes de celles de l'individualisme libéral dont le caractère est profondément inégalitaire. [...]
[...] Pour fonder sa nouvelle société, Saint-Simon fait un programme en cinq points : - Terminer la Révolution, c'est-à-dire mettre fin aux crises et mettre au point un ordre juste. - Instaurer un nouveau pouvoir temporel : promouvoir la capacité industrielle. On doit mettre à la tête les industriels, les gens capables, les capacités productives des producteurs avec en plus l'idée que le mérite individuel doit l'emporter. Pour lui, l'industrie et le commerce doivent réguler la société. - Instaurer un pouvoir spirituel : c'est-à-dire qu' il faut promouvoir la capacité scientifique, c'est ainsi qu'il montrera que la science est sûre et avérée, donc préférable aux conjectures religieuses. [...]
[...] En France, les projets n'allèrent jamais bien loin: du phalanstère strict aux réunions idéologiques ou religieuses, des groupes de sociantisme ou de garantisme (vocables par lesquels Fourier désigne un système général d'assurances, transition possible à l'Harmonie), on peut ajouter la création d'un Commerce véridique et social à Lyon de 1835 à 1838, d'une Colonie sociétaire de Cîteaux en Côte-d'Or de 1840 à 1844, et d'une Union agricole de Saint-Denis-du-Sig (Algérie) en 1846; Victor Considérant tenta également d'instaurer une société de colonisation au Texas dans les années 1850- Le projet le plus abouti reste le «Familistère de Guise» (voir photo) dans l'Aisne, développé par Jean-Baptiste Godin de 1867 à 1878, qui accueillit, de 30 ouvriers en 1846, jusqu'à 1500 salariés en 1880 (voulu comme palais social il proposera des conditions d'hygiène et de protection sociale optimales, ainsi que des structures éducatives et culturelles, avec un système d'économats pour les biens nécessaires et la nourriture). L'influence fouriériste allait bientôt s'étendre bien au-delà de l'école et de la France. Le premier vrai phalanstère fut organisé en 1844 en Roumanie par un journaliste qui avait séjourné en France. Dénoncé pour son esprit d'insurrection français il fut attaqué par la police, ses membres dispersés et les fondateurs emprisonnés. [...]
[...] Alfred Sauvy souligne ici ce qui fit la force et la faiblesse des socialistes utopiques du XIXe siècle. Inspirateurs et penseurs de génie annonçant l'ère de tous les socialismes, préférant la théorisation à la conquête du pouvoir, ils se révélèrent incapables de mener eux-mêmes et durablement le combat politique, laissant ainsi la prédominance de la critique de la société capitaliste au marxisme dans la seconde moitié du XIX° siècle. Le Socialisme utopique du XIXe siècle reste cependant l'expression la plus marquante des utopies sociales de par son extraordinaire intensité et sa multiplication d'essais et de tentatives de mises en pratique et demeure aujourd'hui encore une inspiration majeure pour tous les penseurs d'un autre monde. [...]
[...] Petitfils, P.U.F Encyclopédie Universalis, article de Simone DEBOUT-OLESZKIEWICZ Ouvrages de référence : _ Le Producteur, Saint-Simon _ Socialisme utopique et Socialisme scientifique, Friedich Engels 1788-1856 1760-1825 1772-1837 Jacqueline Russ, Le Socialisme utopique français André Vergez, Fourier, PUF,1969. Cf. Correspondance, XIV, 218-219. [...]
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