C'est un mot qui fait peur, de nos jours... Alors que rien n'est plus beau que la controverse.
Un exemple, pour illustrer ce propos. Me trouvant en cours d'humanités scientifiques de première année, il y a quelques semaines, je parlais avec un de mes collègues de mon admiration pour Léon Schwartzenberg. Sa seule réponse fut « Mais il est controversé, tout de même »... phrase prononcée avec un mélange de crainte, de dégoût...
Oui, de nos jours, la controverse fait peur... on n'aime pas les gens « controversés ». Encore un exemple, il suffit d'observer nos élus, qui débattent sans passion, en déclarant à qui veut l'entendre « je ne veux pas polémiquer », comme si la polémique, la controverse, était mauvaise. C'est tout le contraire ! On ne peut pas se passer de controverse !
Dernier exemple, celui des humoristes qui servent sur le service public... Auditeur quotidien de France Inter, je constate le peu de risques que prennent les soi-disant humoristes de la chaîne, qui ne sont véritablement que des amuseurs. Leur « humour » se base plus sur une narration peu intéressante de leur propre vie, destinée à faire rire facilement, et surtout, sans se poser de question. Oui, les Desproges, Coluche ou autre Guillon avaient en eux ce côté impertinent, sulfureux, voire subversif, cette impertinence, et ce goût de la polémique, de la controverse. On ne peut pas, en effet, déclarer « qu'il faut savoir choisir entre la Hollande et Auschwitz, car on ne peut pas être au four et au moulin », en parlant d'un haut dignitaire nazi, sans soulever la polémique.
[...] Alors qu'il tente de développer une nouvelle thèse, dont il n'est pas sûr de la véracité (comme pour toute thèse réellement scientifique) mais dont il cherche à vérifier les hypothèses, qui est que le réchauffement climatique serait davantage dû au rayonnement du Soleil sur la Terre qu'à l'action de l'Homme, il est grossièrement présenté comme un climat sceptique catégorie où sont placés pêle-mêle tous ceux qui sont présentés comme adversaires de la théorie universellement admise. La communauté scientifique, parce qu'elle répond à des intérêts lobbyistes, ou tout simplement parce qu'elle est bornée et peu apte à évoluer (souvenez- vous de Wegener et de la tectonique des plaques joue habilement du concept de débat, afin de freiner toute évolution, de museler toute opinion divergente. Les élus se font les complices de la communauté scientifique, dans cette mise au ban du public du processus décisionnel. [...]
[...] Comme il n'y a pas de controverse entre eux, ils n'ont pas à s'afficher réellement devant le peuple. Et comme il n'y a pas non plus de controverse dont le peuple serait parti prenant, ils peuvent agir sans avoir à s'expliquer. La démocratie sans controverse, ce n'est plus la démocratie, mais la technocratie ! La technocratie, c'est la dictature de l'expertise, c'est la mise à l'écart du peuple, présenté comme ignorant, du fait politique, c'est la confiscation du pouvoir populaire, au profit de l'ordre des experts. [...]
[...] La controverse, si elle n'a pas pour effet d'obtenir un large consensus, a au moins le bénéfice d'une large diffusion, d'une clarification des positions de chacun, et d'organiser un véritable choc des idées, qui ne peuvent être que favorable à la vie démocratique. La controverse, c'est ce qui permet au peuple, en l'associant à sa dynamique, de ne pas s'endormir. C'est le chien de garde de la démocratie. Pour finir, il me semblait essentiel d'évoquer les liens entre controverse et liberté d'expression. Le procès de Robert Faurisson, en 1983, a permis d'en éclairer certains aspects. [...]
[...] La controverse ne serait qu'une perte de temps, qu'une lutte stérile entre ancienne et moderne. Le temps de controverse publique devrait pourtant être un temps essentiel dans le processus de traitement social de grandes questions, qu'elles soient scientifiques ou sociétales. La controverse doit être un grand chantier, où s'articulent différentes questions. L'espace de controverse est par exemple l'espace de rencontre entre science et société. La controverse scientifique permet de mieux explorer les différents enjeux d'un problème, en permettant de mieux identifier les acteurs et de mesurer et de comprendre l'investissement de chacun d'entre eux. [...]
[...] Au contraire, la controverse est un laboratoire, un chantier, comme on l'a déjà dit. Au lieu d'une opposition entre experts et profanes, entre science et politique, dans laquelle les experts ont un avantage naturel et difficile à remettre en cause; la controverse dégage des argumentaires sociotechniques, des scénarios qui articulent des considérations de nature différente. La controverse vient modifier les rapports entre points de vue experts et profanes. Contrairement au modèle habituel du débat, où les seconds ne peuvent qu'être éclairés par les premiers sans pouvoir rien apporter en retour, l'expérience de la controverse démontre que chacun des acteurs détient des savoirs spécifiques qui s'enrichissent mutuellement. [...]
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