Étienne de La Boétie est né le 1er novembre 1530 à Sarlat et mort en 1563. Son renom s'attache à un écrit qu'il aurait composé vers dix-huit ans, un texte que l'on connaît sous le nom de Discours de la servitude volontaire. La servitude volontaire est une expression paradoxale qui vise à montrer les rouages de la survie politique du tyran ; elle tend à constater l'incompréhensible fait qu'un être, né pour être libre, décide consciemment de s'asservir au tyran. La question à laquelle le concept de servitude volontaire apporte une réponse est de savoir comment il est possible que tant d'hommes endurent un tyran qui n'a de pouvoir que celui qu'ils lui accordent. Et c'est en ce sens que m'est venue l'idée de le rapprocher du presque autant controversé Eichmann à Jérusalem écrit par Hannah Arendt, sur qui je vais vous dire quelques mots.
Hannah Arendt est une politologue née à Hanovre en octobre 1906. Sa pensée atypique, faisant d'elle une des intellectuelles les plus singulières et stimulantes du XXe siècle, va connaître une sorte d'apogée à partir de 1961, quand elle se rend en Israël pour couvrir le procès du criminel nazi Adolf Eichmann. Son reportage a fait alors l'objet d'une incroyable violence à cause du ton qu'elle a employé (on lui reprochait sa froideur quand elle mettait en avance une objectivité), à cause de la lumière qu'elle a mise sur le rôle des conseils juifs pendant la Guerre, et enfin à cause de la notion de banalité du mal qui a émergé de cette affaire. C'est sur ce syntagme que je vais me concentrer un peu plus désormais afin d'entrer dans mon propos. C'est dans la conclusion d'Eichmann à Jérusalem parle de « la terrible, l'indicible et l'impensable banalité du mal ». Cette notion, dont le but était de soulever l'incroyable fossé paradoxal entre l'extrême trivialité d'Eichmann et la monstruosité des crimes dont il s'est rendu coupable (il a envoyé des centaines de milliers de juifs aux camps de la mort), a fait l'objet d'énormes controverses.
On se rend compte qu'à la base, la servitude volontaire et la banalité du mal soulèvent chacune un paradoxe insoutenable. C'est ce qui peut expliquer leur caractère subversif et les raisons pour lesquelles elles ont passionné, passionnent et continueront de passionner ceux qui s'y intéressent. Cependant, je ne pense pas que l'on puisse réduire leurs rapprochements à un paradoxe linguistique, et c'est ce que je vais essayer de vous montrer à l'occasion de cette présentation.
[...] Il éprouve cette chute comme la honte de l'homme dans la mesure où elle est synonyme d'un écroulement des valeurs auxquelles l'humanité a naturellement vocation, ce qui explique le mépris que l'auteur éprouve tant les peuples avilis. Si l'on peut parler de mal absolu à propos de la servitude volontaire, c'est en raison du fait qu'elle est complètement contre-nature, comme on vient de le voir. C'est la raison pour laquelle La Boétie le voit comme un problème psychologique qui nous renvoie à une dimension absolument énigmatique de nature humaine. [...]
[...] En revanche, il était totalement libre de renoncer à sa pensée et donc à sa liberté. En ne devenant plus libre, mais ce librement, la banalité du mal se situe entre les deux grands pans de la tradition du mal et de la liberté Un mal injugeable La banalité du mal a cela d'irrationnel qu'elle est complètement impossible à juger. D'un point de vue juridique déjà, car, selon Arendt, l'horreur montrée dans sa monstruosité nue a fait exploser toutes les normes juridiques C'est dans une mesure similaire qu'elle est moralement impossible à juger, car l'horreur a transcendé toutes les catégories morales Ce qui peut montrer cette impossibilité de la juger moralement se retrouve dans Eichmann à Jérusalem, lorsqu'Arendt dit à propos des juges : Que ces trois hommes n'aient jamais réussi à le comprendre est peut-être une preuve de leur bonté de leur foi inébranlable et un peu démodée dans les fondements moraux de leur profession Dans une conférence de 1964, intitulée Responsabilité personnelle et régime dictatorial, Hannah Arendt revient brièvement sur l'impossibilité de juger ces criminels de guerre liés à la banalité du mal. [...]
[...] On parle ici de mal radical non par absoluité, mais par possibilité de le faire remonter aux racines de notre conduite, car il corrompt le fondement de nos maximes. On y préfère l'amour de soi à la loi morale et c'est pourquoi il est plus le fruit d'un mensonge que d'une vraie rébellion. Dans Les origines du totalitarisme, Hannah Arendt voit du mal radical dans le régime nazi dans la mesure où l'homme y est rendu superflu et sa pensée, de même que sa spontanéité, annihilées ; dès lors, ses actes échappent à l'entendement humain. Or, dans Eichmann à Jérusalem, elle parle de banalité du mal. [...]
[...] On se rend compte qu'à la base, la servitude volontaire et la banalité du mal soulèvent chacune un paradoxe insoutenable. C'est ce qui peut expliquer leur caractère subversif et les raisons pour lesquelles elles ont passionné, passionnent et continueront de passionner ceux qui s'y intéressent. Cependant, je ne pense pas que l'on puisse réduire leurs rapprochements à un paradoxe linguistique, et c'est ce que je vais essayer de vous montrer à l'occasion de cette présentation. Je commencerai par effectuer un rapprochement politique entre ces deux syntagmes. [...]
[...] Au final, il aurait fallu comprendre en quoi il n'était ni démoniaque, ni monstrueux, afin de prendre la mesure des problèmes que le totalitarisme avait créés sur la question du mal. Et l'on se rend compte de l'échec de cette déshumanisation lorsque l'on lit, derechef dans Eichmann à Jérusalem, que : Malgré tous les efforts de l'accusation, tout le monde pouvait voir que cet homme n'était pas un monstre Il était plus un philistin incapable de prendre la mesure de ce qui s'était déroulé que le monstre que beaucoup auraient voulu voir en lui. [...]
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