Tout invite à voir, dans cette interrogation, l'expression d'une déception, d'une conception péjorative de la politique. De fait, le « possible » n'appartient pas à l'ordre de l'idéal, de l'utopie : il est ce qui peut se réaliser et par là même il rompt avec toute forme de lyrisme politique. Il semble bien, dès lors, que cette interrogation porte tout le poids du désenchantement postmoderne. C'est donc d'abord cette désacralisation de la pratique politique qu'il faut analyser. Cependant, le « possible » c'est aussi ce qui renvoie à notre liberté, à notre volonté. Cette formule n'est donc peut-être pas dénuée d'une certaine ambiguïté (...)
[...] La fin des utopies ] Réduire la politique à un art du possible c'est, d'une certaine façon, penser son échec. C'est affirmer que l'idéal n'existe pas, que Dieu est absent de tout projet terrestre, qu'aucune Raison n'est à l'œuvre dans l'histoire, qu'aucune dictature du savoir, qu'aucun philosophe-roi ne pourra jamais réaliser une République parfaite. Le possible c'est ce qui nous maintient dans la gestion sans grandeur des affaires humaines. Et si la cité est la collectivité des désirs, alors toute politique est vouée à la frustration et l'histoire est le lieu de ce manque définitif. [...]
[...] Mais ce risque est celui de notre liberté. Raymond Aron, dans son introduction au livre de Max Weber résume ainsi cette faiblesse de la démocratie : On craint souvent que la science politique ne soit redoutable pour les démocraties parce qu'elle les montre telles qu'elles sont, dans leur inévitable et bourgeoise imperfection. Je ne crois guère à ce danger. Ne l'oublions pas: la démocratie est le seul régime, au fond, qui avoue, que dis-je, qui proclame que l'histoire des Etats est et doit être écrite non en vers mais en prose.» Effectivement, la prose de la démocratie ce n'est pas l'accord profond des esprits, ni la paix sociale, ni cette belle unanimité dont rêvait Rousseau : c'est l'antagonisme sans merci des opinions, c'est le déchirement du corps social travaillé par les progrès. [...]
[...] La politique n'est-elle qu'un art du possible ? Tout invite à voir, dans cette interrogation, l'expression d'une déception, d'une conception péjorative de la politique. De fait, le «possible» n'appartient pas à l'ordre de l'idéal, de l'utopie: il est ce qui peut se réaliser et par là même il rompt avec toute forme de lyrisme politique. Par surcroît, l'expression art du possible évoque une habileté, certes, un savoir- faire, un ensemble d'artifices, mais en rien elle ne suggère un savoir, une science: l'art du possible se réduit à une technique de l'à-peu-près (ce que souligne la restriction exclusive ne . [...]
[...] [ Conclusion ] La politique comme art du possible ? Finalement la formule est ambiguë. De l'ambiguïté propre à l'activité politique, toujours écartelée entre le possible et l'impossible. Certes, les deux : notions s'opposent, mais nous savons aussi qu'on n'aurait sans jamais pu atteindre le possible si l'on n'avait pas tenté l'impossible. Faut-il absolument choisir entre le Platon qui dessine le paradigme parfait de la République ou le Platon qui nous rapporte; dans la Lettre VII, son expérience déçue avec Denys de Syracuse ? [...]
[...] Désormais, le salut n'est plus politique, il est dans le retranchement du sujet en lui-même, dans cette tentative de bonheur ataraxique. Ce que nous appelons postmodernité n'est pas sans évoquer ce désenchantement, cette distance à l'égard des idéologies. Montaigne, en son temps, avait déjà dénoncé l'illusion politique, avait lui aussi pratiqué le retrait dans son arrière-boutique Il proposait alors de couler ce monde, de glisser à sa surface, d'occuper légèrement le présent et ses vacations farcesques (De ménager sa volonté, III, 10). [...]
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