Se demander ce que peut la politique, c'est renvoyer à l'essence même du politique, qui selon Pierre Rosanvallon (la Démocratie inachevée) se décline en deux questions radicales : « que peut la politique ? » et « qu'est-ce que vouloir en politique ? ». La politique apparaît donc comme la « science de la volonté », selon une formule d'Eric Weil commentant Hegel (Hegel et l'Etat). Par conséquent, comme le signale encore Pierre Rosanvallon : « L'histoire de la politique est bien inséparable d'une exaltation de la volonté ». Inversement, toute une série de penseurs traditionalistes, de Louis Bonald à Donoso Cortès, a méprisé le volontarisme en politique. Si on suit toujours Pierre Rosanvallon, on constate que se poser la question de « que peut la politique ? », c'est constater une oscillation au cours de l'histoire entre « sacre de la volonté » et « haine de la volonté ». Et ce parti pris historique nous conduit à adopter une autre double-entrée dans le sujet qui est celle des deux termes dont dispose la langue anglaise pour traduire le vocable français de « politique » : policy, qui renvoie à l'action politique et politics, qui renvoie à la recherche du pouvoir.
[...] Avec, le totalitarisme, la politique absorbe la société civile. L'idéologie de l'État transfigurée en dogme relayé par le parti unique, exerce en ce sens un contrôle total sur la société, la culture, les sciences, la morale jusqu'aux individus mêmes auxquels il n'est reconnu aucune liberté propre d'expression ou de conscience. Il apparaît exactement comme la négation exacte de la promesse d'émancipation moderne portée par la politique. L'élaboration de ce projet politique est analysée par Hannah Arendt dans les Origines du totalitarisme où elle montre comment la politique peut donner naissance à un mouvement sans fin de domination totale Un autre ressort est celui de la constitution d'un ennemi politique, d'où le recours fréquent au nationalisme. [...]
[...] Dans la Cité et l'Homme , Leo Strauss commentant la République de Platon et la Politique d'Aristote énonce que la société politique restera ce qu'elle a toujours été : une société partielle ou particulière, dont la tâche première et la plus urgente est d'assurer sa propre préservation. Dans quelle mesure la politique peut-elle assumer cette tâche ? Dans ses écrits, Platon nous détaille comment la Cité a selon Socrate pour objet la satisfaction des besoins humains. Or les besoins humains étant multiples, chacun a besoin d'autres humains. [...]
[...] Le type idéal de la volonté politique a été remplacé par une multitude d'intérêts et de volontés. Par conséquent, la politique n'a pas perdu son rôle de régulation, mais elle a été appelée à s'adapter en intervenant de manière beaucoup plus disséminée et diffractée D'où le sentiment d'un effacement du politique Dès lors, il apparaît que ce n'est pas la politique elle-même qui a perdu toute capacité d'action, mais que c'est toute une métaphysique de la volonté en politique qui disparaît avec la fin du vingtième siècle. [...]
[...] Par conséquent, la société juste et harmonieuse est impossible. Il est en effet contre nature qu'advienne une cessation des maux car il est nécessaire qu'il y ait toujours quelque chose d'opposé au bien (Théétète). Certes la politique peut beaucoup : elle vise le Bien, mais dans les faits elle n'y parvient que partiellement. Aristote reprend ce raisonnement de Platon consistant à considérer que le but de la société politique est de garantir les conditions du bonheur. Mais il abandonne la voie de l'utopie et du noble mensonge pour faire ce constat selon lequel les buts de la société et de l'individu diffèrent sensiblement. [...]
[...] La naissance de l'Etat moderne permet donc à la politique de faire beaucoup plus que d'assurer une harmonie hors de portée. En effet, dès lors que la souveraineté pleine et entière est reconnue à l'Etat, le pouvoir ne peut être qu'absolu. L'autonomisation de l'Etat est le sens de la théorie de la souveraineté développée par Bodin dans les Six livres de la République (1576). Puis Hobbes donne à l'Etat absolu du Léviathan (1651) son caractère essentiel de réducteur d'incertitude : la politique peut ainsi assurer la sécurité intérieure et la paix extérieure, en permettant aux citoyens d'échapper à l'état de nature où règne la guerre de tous contre tous La politique, grâce au monopole de la violence légitime (Max Weber) de l'Etat, permet de remplacer l'arbitraire comme facteur de régulation de la société. [...]
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