Que peut-on attendre de l'Etat, sinon qu'il remplisse ses fonctions de régulation des rapports entre les individus qui constituent la société civile ? En effet, l'Etat étant une instance que nous avons édifiée en vue d'organiser et de diriger, au moyen d'institutions spécifiques, notre vie commune, il semble a priori absurde de nous demander ce que l'on peut en attendre. L'Etat est un artifice, et en ce sens, ce qu'il peut nous apporter se résume aux besoins et aux nécessités qui président à sa création. Pourtant, et il suffit pour cela d'ouvrir un journal, d'allumer sa radio ou sa télévision, force est de constater que notre Etat et ses représentants sont l'adresse de revendications de plus en plus nombreuses, vigoureuses et variées. Certains rappels à l'ordre sont plutôt légitimes, qui réclament les moyens nécessaires au bon fonctionnement de l'organisation actuelle (ex. de revendications concernant l'accès à l'emploi ou à la santé) ; mais il n'est pas rare d'assister à des demandes faites à l'Etat qui semblent excéder ses fonctions initiales.
[...] Que peut-on donc attendre de l'État, le bonheur ou la raison ? Nous allons tenter d'évaluer la légitimité de chacune des voies de cette alternative, mais aussi d'examiner dans quelle mesure il est correct de disjoindre bonheur et morale. Nous verrons en effet que, bien qu'il semble dangereux d'assigner à l'État la tâche de nous rendre heureux, il serait naïf de penser que les hommes puissent être à l'origine d'un ordre qui n'irait pas du tout dans le sens de leur bonheur. [...]
[...] Nous avons vu que Kant, contre Hobbes, condamnait toute intervention de l'État en matière de bonheur. En effet, le bonheur serait une affaire privée, tandis que la tâche de l'État serait d'éveiller en nous une disposition morale nous permettant de faire des choix non exclusivement guidés par les déterminations empiriques. Ce que l'on pourrait attendre de l'État, ce ne serait donc certainement pas qu'il nous rende plus heureux, mais qu'il nous permette de dépasser un ici et maintenant qui ne laisse que peu de place à notre liberté pour se déployer. [...]
[...] Toute incursion du registre de l'universel dans le domaine du bonheur relève en effet du despotisme. Dès lors, attendre de l'État qu'il nous guide vers le bonheur, c'est souhaiter un état totalitaire. Quel avantage les hommes y trouveraient-ils par rapport à l'état de nature ? Contre Hobbes, Rousseau développe une autre fiction de l'état de nature, dans lequel règne un bonheur originel peu à peu ruiné par des rapports humains régis, à tort, par une recherche du bonheur individuel. L'État doit venir réguler cela en introduisant la notion de l'intérêt commun. [...]
[...] Le législateur nous donne les moyens, en éduquant en premier nos corps, puis nos passions, de jouir du bonheur de la contemplation réservé à l'homme vertueux, et ainsi d'être heureux tout en vivant avec les autres. on retrouve ici, comme chez Kant, la contrainte qui préside à l'actualisation de notre disposition rationnelle et morale. Que peut-on attendre de l'État ? Certainement qu'il nous rende meilleurs, et si possible que cette amélioration nous rende heureux. Dans tous les cas, l'État vient servir cette perfectibilité de l'homme qui le distingue de l'animal. [...]
[...] En est-il responsable ? Doit-on attendre de lui qu'il veille sur nous comme une mère veille sur son enfant et essaye de lui éviter tous les dangers ? C'est donc bien ce qui préside à la création de l'État que nous allons devoir réexaminer. Certaines revendications et plaintes adressées à l'État semblent être l'indice d'un manque que l'on demande à celui et ceux qui nous dirigent de venir combler. L'État serait donc le produit d'un peuple malheureux et frustré incapable de s'assurer les satisfactions nécessaires à son bonheur. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture