L'opinion publique, pour le sens commun, est à la fois le fondement et le garant de la démocratie; son soutien est la condition d'existence de tout régime qui ne s'impose pas par la force. Elle est constituée par les opinions des citoyens dans le domaine public, c'est à dire relatives aux questions posées par la vie en société. Pourtant, cette corrélation entre processus démocratique et émergence d'une opinion publique, qui semble aller de soi, se heurte à des faits qui remettent en cause cette belle linéarité. En effet, on peut observer des circonstances historiques où l'opinion publique manifeste de l'indifférence, voire un soutien réel, à des régimes, des idéologies ou des pratiques qui nient la liberté d'opinion, pratiquent la censure, voire contestent ouvertement la légitimité du peuple à être le fondement de la légitimité politique
[...] Si le peuple est un être, la volonté générale est sa parole. Elle provient de citoyens qui pensent le bien de la collectivité indépendamment de leurs intérêts particuliers, et savent réprimer leurs instincts pour penser le bien de la collectivité. Elle se situe donc au delà de la somme des volontés particulières; " Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté de chacun; celle-ci ne regarde qu'à l'intérêt commun, l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de volontés particulières." Cependant, l'expression de cette volonté générale apparaît très problématique. [...]
[...] Si l'on peut voir que dans les théories politiques d'un Rousseau ou d'un Tocqueville, il n'y a pas de lien consubstantiel entre opinion publique et démocratie, l'étude historique de la formation de l'opinion publique révèle également ces failles. B. Une histoire ambiguë: la méfiance des démocraties à l'égard de l'opinion publique La peur du "peuple plébéien", qui sous tend toute l'histoire des régimes politiques, perdure dans les régimes démocratiques, qui par bien des aspects, tentent de domestiquer l'opinion publique. L'opinion publique, source d'erreurs . [...]
[...] La grande leçon du 20ème siècle est donc que pour légitimer le pouvoir et sa politique, il faut "conquérir les masses". Il n'est donc pas anodin qu'il soit le siècle de l'invention de la propagande, qui n'est rien d'autre qu'une mise en condition de l'opinion publique, véritable science qui ne laisse rien au hasard. On peut donc voir que les liens entre opinion publique et démocratie ne sont pas consubstantiels; bien plus, les démocraties ne se sont jamais départies d'une certains méfiance à l'égard de l'opinion publique, réalité insaisissable, et parfois dangereuse. [...]
[...] L'opinion publique, telle qu'elle est alors inventée, est antidémocratique dans la mesure où elle n'est que le masque de la force. Pour Pierre Bourdieu, "tout exercice de la force s'accompagne d'un discours visant à légitimer la force de celui qui l'exerce; on peut même dire que le propre de tout rapport de force, c'est de n'avoir toute sa force que dans la mesure où il se dissimule comme tel". Selon lui, l'opinion publique révélée par cette pratique, loin d'être l'expression de l'intérêt général, est un artefact, car elle repose sur trois postulats biaisés. [...]
[...] C'est donc bien, comme l'avait pressenti Tocqueville, l'individualisation extrême de la société qui menace la démocratie. L'opinion publique en tant que processus rationnel est abolie, et les individus déracinés adhèrent à l'idéologie proposée, qui les met en mouvement et les oriente vers un but qu'ils n'étaient plus capables de discerner seuls. Elle est également abolie en ce que la limite avec la sphère privée est niée, et que donc du même coup, l'espace public en tant que tel disparaît. B. [...]
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