Il semblerait évident d'affirmer que l'obéissance aux lois, en tant qu'elle suppose un assujettissement du sujet au droit positif, droit par essence supérieur aux agissements des hommes si l'on en croit Kelsen, élague nécessairement la liberté consubstantielle à l'homme. En effet, le système des impôts lèse ma liberté, en ce sens que je suis contraint, ce qui suppose l'exerce d'une force coercitive extérieure, de verser à l'État une somme d'argent fixée, quelle qu'en soit ma volonté. Si la loi a été instituée, c'est aussi pour briguer la liberté effrénée originairement à l'œuvre dans l'état de nature. Car il est clair que trop de libertés tuent la liberté : en effet, si la liberté est conçue comme un absolu inconditionnel, alors mon semblable est en droit de venir me tuer, ce qui vient effectivement annihiler la liberté dont je suis pourtant porteur.
Ainsi, la liberté devient instrument de discorde, et c'est pourquoi la société civile conceptualisée par Hobbes devient indispensable. Dès lors, la liberté est dépositaire de la paix sociale, elle est par là même ce par quoi l'existence de la collectivité est pérennisée, et c'est la raison pour laquelle elle peut venir attenter à ce que je perçois comme relevant de « ma liberté », ce qui suggère que la liberté n'est pas un bien souverain universalisable, mais immanente à chaque homme.
[...] Cet état d'instabilité ne prend fin que par le glaive, si bien que s'instaure une loi du plus fort qui anéantit la notion même de liberté. Enfin, il est notoire que l'homme étant le destructeur de son semblable, des rivalités insurmontables s'instaurent durablement, si bien qu'une distension, une disproportion tend à s'imposer : en effet, la loi du talion se pérennisant, le plus fort s'arroge un droit sur le plus faible en venant le subordonner à ses propres volontés ; dans ce cas, Hobbes rappelle que le plus fort sème la terreur en accaparant les biens des autres, jusqu'à ce qu'une coalition défensive vienne le renverser. [...]
[...] En tous les cas, l'homme demeure libre, par son obéissance à la loi. Si la société civile a été instituée, c'est pour dessiner en creux l'instauration d'une harmonie sociale en garantissant les intérêts non pas individuels mais communs : perce alors le concept d'intérêt général qui prime sur celui des volontés individuelles, par essence inatteignables, en tant qu'il serait impossible d'harmoniser les volontés individuelles agrégées. Enfreindre la loi revient dès lors à s'octroyer une dérogation particulière qui met à mal l'égalité des citoyens et qui perturbe le fonctionnement même de la société civile. [...]
[...] Si l'Etat est institué, il est clair que la vengeance individuelle est censée s'oblitérer. C'est par ailleurs ce que signale Max Weber dans son ouvrage Le Savant et le Politique en notant que l'Etat détient le monopole de la violence légitime Ainsi, il est nécessaire que les différends qui déchirent les individus soient réglés par une partie impartiale sourde aux intérêts particuliers, et qui vient garantir le respect d'une règle de droit : c'est là la consécration de la triangulation du droit par le juge, qui s'intéresse au respect de la règle. [...]
[...] C'est d'ailleurs ce que dénote le processus de socialisation politique, qui m'amène non pas à voir l'obéissance à la loi comme une macule à ma liberté mais comme un moyen de la garantir. Un bref regard sur le quotidien est éclairant à cet égard : l'homme, lorsqu'il agit, ne se sent pas nécessairement contraint de faire en sorte que son action soit au plus près des prescriptions de la loi. Il arrive que des coutumes se mettent en place, mais dont la force obligatoire est reconnue par les membres de la collectivité : en effet, si elles émanent de la conscience juridique du peuple, elles sont d'une part le fruit de leur volonté et, d'autre part, si le peuple s'y conforme, c'est parce qu'il a conscience de sa force juridique : il s'agit de l'opinio juris Ainsi le peuple y obéit de son plein gré, l'obéissance à la loi n'est donc pas conçue comme asservissement et mort de la liberté mais comme un choix, un processus électif mené par le peuple lui-même si l'on en croit l'anthropologue juridique Mireille Delmas-Marty. [...]
[...] La loi apparaît donc comme un périmètre, certes circonscrit, mais dans lequel l'exercice de la liberté de l'homme est garanti et assuré. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Rousseau en vient à affirmer qu'est libre le sujet qui est soumis à la loi qu'il s'est donnée dans la mesure où le respect de cette loi est nécessaire pour tous. Si cette liberté est bornée, elle est liberté, car elle émane de la volonté des hommes, qui se dotent de leurs propres lois, en élisant leurs représentants. [...]
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