Histoire, mémoire, devoir de mémoire, législation sur le passé historique, tout semble indiquer que nous vivons une époque de grande confusion. Confusion des ordres d'abord, dirait Pascal. Ne mélangeons alors pas tout. Par exemple, l'histoire, la mémoire, le domaine législatif n'appartiennent pas au même ordre. Chacun de ces ordres, l'historien qui réfléchit sur ces questions, et le législateur, chacun a sa dignité, mais ils n'appartiennent pas au même ordre. Ordre intellectuel de l'historien d'abord, ordre affectif de la mémoire ensuite, ordre légal du législateur enfin. Il est utile donc de rappeler qu'on ne légifère pas sur l'histoire, pas plus que la morale ou la mémoire ne peuvent imposer leurs prescriptions à l'historien. Ce dernier doit parler avec objectivité, mais ne doit pas endosser les témoignages. Tout ceci entretient une sorte de confusion sur le rapport que la communauté française entretient avec son passé. Il semblerait que la France aime son passé, et souffre de son passé. Elle en est fière, et elle en a honte. La France est entre la repentance, le regret, et l'oubli. Notre passé est tout ensemble objet de gloire et objet de honte. Le regard ambigu que nous portons sur notre histoire peut être qualifié par 2 mots : déploration et nostalgie.
[...] Disons qu'il y a quand même un devoir de mémoire qui relève de la dignité de reconnaître les souffrances d'un peuple. Cela dit, la relation avec la mémoire est une relation intime, qui reste la décision de chacun. Toute vie est une écriture faite de ratures. Toute vie est faite d'oublis et de souvenirs. Dans le fond, les deux écueils à éviter sont l'amnésie et l'hypermnésie (trop se souvenir). Ni mémoire pure, ni oubli, ni devoir de mémoire, mais travail de mémoire. [...]
[...] "On ne peut pas vivre sans trahir quelques fantômes", disait Bachelard. Il ne faut pas toujours être fidèle aux morts, parce qu'il faut savoir vivre aussi. III - l'inflation mémorielle Rapport équivoque que nous entretenons avec l'histoire et la mémoire. Dans ce rapport, il y aurait eu comme une évolution: on est passés d'une histoire héroïque à l'histoire des victimes et des bourreaux. Cette évolution a éveillé des demandes mémorielles. Des communautés demandent à ce qu'on reconnaisse les mémoires blessées de leurs ancêtres. [...]
[...] Peut-on imposer des devoirs à la mémoire ? Cela ne risque-t-il pas de figer le dynamisme de la vie ? Parce qu'après tout, la vie, l'histoire, sont d'abord dépassement, progrès. y a-t-il donc pas de devoir de l'oubli ? Cette relation à la mémoire ne peut-elle pas devenir une hantise, une servitude ? Ce culte du souvenir ne se fait-il pas par peur de l'avenir ? L'oubli n'est- il pas la condition de l'existence ? N'est-ce pas au coeur de l'oubli que reposent les promesses d'avenir ? [...]
[...] La Révolution française a ainsi été racontée par des sensibilités différentes: hommes de droite, de gauche, anarchistes, etc. Un historien ne parle donc que de son présent. C'est en quoi il demeure une part d'objectivité chez tout historien. De même, il y a dans le devoir de mémoire une volonté de sauver de l'oubli ce que nous aurions tendance à écarter. C'est pourquoi il fait preuve d'historien. Histoire et mémoire peuvent se nourrir ou se nuire l'une l'autre. La mémoire est une histoire ressentie. L'histoire est une mémoire réfléchie. [...]
[...] Les autres démocraties n'ont pas ces lois (Italie, Espagne). Rappelons aussi que 19 historiens parmi les plus importants ont signé une pétition en 2005 réclamant l'abrogation de ces lois, parce qu'ils estimaient qu'elles étaient dangereuses pour les historiens. Ceux-ci ont peur que cela crée un climat d'auto-censure, et que les étudiants en histoire ne se sentent plus le droit d'évoquer ces sujets dans leurs thèses. Ce climat de repentance n'est pas sans conséquence ambigüe. Ne risque-t-on pas de devenir des orphelins du passé ? [...]
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