Le problème du contrôle du pouvoir est un problème difficile parce qu'autant éthique que politique. Contrôler le pouvoir, c'est la tâche de ceux qui y participent (qui se doivent de vérifier les modalités de son exercice) mais plus encore celle des gouvernés qui, s'ils n'exercent pas ce contrôle, peuvent en être victimes : tout pouvoir, même légitime, porte en lui les risques de dépassement de sa légitimité et peut devenir violence, inhumanité ou simplement se retourner contre les intérêts du peuple qui l'a élu. Il s'agit donc de "mettre sous surveillance" le pouvoir .
Mais comment exercer ce contrôle ? Il semble qu'il faille pour contrôler le pouvoir contrôler la parole. Car la parole est le lieu de tous les dangers, la parole est elle-même enjeu de pouvoir et exercer cette parole, c'est exercer du pouvoir ou du moins s'inscrire dans le jeu du pouvoir . Ne dit-on pas "prendre" la parole comme on dit "prendre" le pouvoir ?
[...] Contrôler la parole : celle des gouvernants : en instituant un vocabulaire adéquat au pouvoir, celle de la juridiction. Ce qui implique des institutions et une pratique de la juridiction. obliger les gouvernants à prendre des décisions en raison (relevant de la rationalité) Et celle des gouvernés : c'est le discours de la critique du pouvoir, qui permet de contrôler le pouvoir au nom de son propre discours. Mais le problème du contrôle de la parole par les gouvernés pose en même temps celui des conditions sociales d'exercice du langage. [...]
[...] Ne dit-on pas "prendre" la parole comme on dit "prendre" le pouvoir ? Contrôler la parole, ce peut être contrôler la parole des gouvernants, pour les obliger à prendre des décisions en raison, et respecter les règles du discours et de l'action politique de telle sorte que le jeu démocratique soit respecté. Mais c'est aussi contrôler sa propre parole, celle de la critique du pouvoir. Mais cette perspective pose un certain nombre de problèmes : Quelle est la forme du discours, quelles règles de la discussion politique peut-on proposer qui en maîtrisant la dialectique du pouvoir permettraient en même temps de limiter le caractère unilatéral du pouvoir ? [...]
[...] D'ailleurs, qui parle ? Celui qui sait manier le langage, celui qui se sent socialement autorisé à parler : et c'est souvent le même, car la classe sociale à laquelle on appartient nous forme soit à prendre la parole, soit à la censurer. Les classes "gouvernées" ne se sentent pas autorisées à prendre la parole et le font d'autant plus maladroitement qu'elles n'y sont pas habituées. Ainsi, sans loi pour obliger le dialogue, la confrontation, donc l'expression des diverses paroles, il y a pas liberté mais "droit du plus fort" c'est-à-dire la seule parole des gouvernants Mais qui peut promouvoir cette idée d'un contrôle de la parole, si elle signifie contrôle du pouvoir ? [...]
[...] Mais d'autres problèmes surgissent. Pressions financières, lois du marché de l'opinion, etc. audimat encouragera à donner plutôt la parole à Le Pen qu'à un autre homme politique moins "audimatique", des pressions financières empêcheront de petites formations représentant le camp des ouvriers, de se présenter facilement aux élections ou d'éditer sa propagande, etc.) + pressions inconscientes, implicites ou sous-jacentes : le pouvoir fait parler le pouvoir, les médias d'aujourd'hui (ou les courtisans d'hier) sont habitués à considérer comme légitime la parole "officielle" ou celle des candidats "autorisés" à parler et à leurs yeux "crédibles" : donc toujours le même petit monde, politique ou intellectuel, auquel les gens sont déjà habitués. [...]
[...] Tout contrôle est coercitif, et se retourne donc en son contraire s'il se donnait pour but de permettre la limitation des abus et la libre expression de tous. Paradoxe : pour empêcher l'abus on crée des limites autoritaires. C'est le problème de la démocratie en général et des lois : la loi, en limitant et interdisant, permet la liberté. C'est le paradoxe de toute loi. La loi est coercitive mais sans loi règle une autre loi : la loi du plus fort. [...]
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