Le 2 mai 2006, le président égyptien, Hosni Moubarak, faisait ratifier par l'assemblée du peuple sa proposition de prolonger l'état d'urgence sur le territoire national, au nom de la lutte contre le terrorisme : le 24 avril trois bombes posées sur la plage et dans des restaurants de Dahab, une station balnéaire au bord de la mer rouge, avaient fait 23 morts et 62 blessés. L'article 148 de la constitution de 1958 autorise, en effet, le président à déclarer l'état d'urgence s'il estime la sécurité et l'ordre public en danger. Mais l'originalité de la situation égyptienne est que cette législation d'exception s'applique depuis 1981, et même plus précisément depuis 1967, suite à la guerre des six jours contre Israël. L'état d'urgence n'a été abrogé que de 1980 à 1981.
Ce qui nous interpelle face à ce constat c'est de comprendre comment une situation d'exception, donc de définition provisoire, peut se prolonger sur près de quarante ans dans un Etat qui se définit comme un Etat de droit. Certes, il semble y avoir aujourd'hui un tournant car cette loi d'habitude établie pour trois ans (et renouvelée), n'est instaurée cette année que pour deux ans, le temps le rédiger un texte de loi spécifique pour lutter contre le terrorisme et le trafic de drogue. Ainsi, Fouad Allam, ancien directeur des services de sûreté de l'Etat, affirme, dans le quotidien Al Ahram du 7 avril 2004, qu'une telle loi devra nécessairement remplacer la loi d'urgence lorsque celle-ci sera abrogée, donc que le pays a besoin d'une juridiction particulière pour combattre certaines actions. Selon lui, « avec tout ce qui se passe actuellement dans la région, l'ingérence américaine dans le monde arabe, la guerre en Irak et les attaques de l'armée israélienne contre les Palestiniens, on peut s'attendre à des réactions violentes de la population et dans de telles conditions il y a toujours des éléments pour semer le trouble ». L'état d'urgence national se justifierait donc d'un climat de tension internationale, qui pourrait avoir des répercussions sur le sol égyptien par des attaques terroristes notamment.
Cette exception « permanente » est donc défendue (depuis 1981) par l'idée qu'elle est un instrument de lutte contre le terrorisme : par la loi d'urgence, l'Etat entend combattre une violence politique, c'est-à-dire si on entend cette notion selon la formulation de Nieburg dans Political Violence , la perpétration d'« actes de désorganisation, destruction, blessure dont l'objet, le choix des cibles ou des victimes, les circonstances, l'exécution et/ou les effets acquièrent une signification politique c'est-à-dire tendent à modifier le comportement d'autrui dans une situation de marchandage qui a des conséquences sur le système social ». L'acte terroriste a une valeur politique, même s'il ne touche pas directement les instances de l'Etat ou ses représentants, car il vise, comme nous le dit Isabelle Sommier, dans Le terrorisme , « à créer un climat d'insécurisation généralisée qui fasse de tout un chacun une victime potentielle » et en cela il remet en cause le pacte social dans lequel l'Etat s'engage, en contrepartie de l'obéissance des citoyens, à leur assurer une protection en matière de sécurité physique, économique et sociale.
Le paradoxe de ce « pouvoir de crise » est qu'il entend lutter contre une violence politique d'opposition à l'Etat par une violence politique d'Etat, celle-là sera nommée ‘‘coercition'' plutôt que ‘‘violence'' car elle appartient à l'appareil politique. Il s'agit là d'un jeu sur les mots comme nous le fait remarquer Philippe Braud dans son article « des attentats aux guerres, les violences politiques » (in Sciences Humaines, hors série n° 47), en effet, la frontière est floue « entre répression et rétablissement de l'ordre, entre terrorisme et résistance à l'oppression ». Mais qu'est-ce, en fait qu'une situation d'état d'urgence ?
[...] Dans les deux cas (violence d'Etat, violence contre l'Etat) la manifestation de la violence est rare et spectaculaire. En ce qui concerne la violence d'Etat, la crainte de la répression suffit en général à éviter les manifestations agitées qui pourraient entraîner une intervention musclée de la part des forces publiques. Mais quand les Egyptiens passent outre cette crainte et que les manifestations ont quand même lieu, comme celles du printemps 2006, où une partie de la population est descendue dans les rues pour afficher son soutien aux juges mis en examen parce qu'ils dévoilaient les malversations du PND (Parti National Démocratique, parti d'Hosni Moubarak, de nouveau très majoritaire à l'Assemblée du peuple après les élections législatives du 7 décembre 2005) et les trucages des élections législatives, la répression est très forte, de manière à être exemplaire. [...]
[...] Ainsi, si l'état d'urgence a été décrété en 1981 et toujours renouvelé depuis, cette situation d'exception permanente a déjà existé, et, en fait n'a presque pas cessé depuis 1967. Il semblerait donc que la république arabe d'Egypte, proclamée le 18 juin 1953, ait majoritairement été un régime d'exception. Il peut d'ailleurs être intéressant de noter que depuis 1953, c'est toujours le même parti ou du moins la même mouvance politique qui est au pouvoir : Anouar el Sadate (comme Hosni Moubarak) était vice-président avant de succéder au raïs. [...]
[...] Or, le souverain justifie, en général, l'instauration de l'état d'urgence auprès du peuple, en prétendant restreindre les libertés pour les défendre ; en Egypte on restreint le droit des Egyptiens pour défendre les intérêts des étrangers et seulement par là ceux de l'Etat en tant que puissance économique (le tourisme fait travailler neuf millions d'Egyptiens, il est la deuxième source de richesses du pays après l'allocation versée par les Etats-Unis). Une question reste posée, elle est d'ailleurs soulevée par Jean Claude Paye : pourquoi est-ce la législation d'urgence qui est privilégiée, alors que d'autres Etats face à la même situation ne l'utilisent pas. Il note en effet, qu'après les attentats de Madrid l'Espagne n'a pas engagé, contrairement aux Etats-Unis, un processus de limitation des libertés individuelles. [...]
[...] Ainsi, Fouad Allam, ancien directeur des services de sûreté de l'Etat, affirme, dans le quotidien Al Ahram[i] du 7 avril 2004, qu'une telle loi devra nécessairement remplacer la loi d'urgence lorsque celle-ci sera abrogée, donc que le pays a besoin d'une juridiction particulière pour combattre certaines actions. Selon lui, avec tout ce qui se passe actuellement dans la région, l'ingérence américaine dans le monde arabe, la guerre en Irak et les attaques de l'armée israélienne contre les Palestiniens, on peut s'attendre à des réactions violentes de la population et dans de telles conditions il y a toujours des éléments pour semer le trouble L'état d'urgence national se justifierait donc d'un climat de tension internationale, qui pourrait avoir des répercussions sur le sol égyptien par des attaques terroristes notamment. [...]
[...] Dans les faits, la séparation des pouvoirs se résorbe peu à peu et se concentre autour de l'exécutif, mais comme le gouvernement dément formellement ceci on reste dans une situation de flou que l'on ressent sur le terrain. La loi d'urgence est en quelque sorte érigée en principe, mais une certaine liberté est laissée aux forces de l'ordre car, malgré les plaintes déposées par des victimes de sévices, très peu de fonctionnaires sont mis en cause. Dans son rapport sur la peine de mort, la FIDH énonce le cas d'un homme ayant été torturé, mais qui n'a pas su dire si c'était par ses gardiens ou par les autres hommes qui partageaient sa cellule. [...]
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