Lorsque Thomas More réfléchit à la cité parfaite, Utopia, il la construit sur un Etat fort et omniprésent, qui à lui seul organise la vie de ses sujets pour leur permettre de mener une existence parfaite, mais toujours encadrée. Aussi, l'Etat de More doit assurer à son peuple non seulement tout le confort qu'il lui est possible de lui donner, mais aussi garantir sa sécurité. Et par Etat, nous entendons l'autorité souveraine qui s'exerce sur l'ensemble d'un peuple et d'un territoire déterminés, c'est-à-dire d'une nation. L'une des images les plus frappantes dans le projet de More, c'est la volonté de créer un homme entièrement plié aux règles de l'Etat, que seule une poignée d'homme dirige, et encore avec le respect d'une multitude de principes inébranlables. Cet homme est soumis aux devoirs qui permettent à la cité de fonctionner parfaitement, harmonieusement, et dans laquelle les sujets doivent être amenés à s'épanouir.
Aussi est-on contraints de s'interroger sur le paradoxe qui s'offre à nous. Comment expliquer le bon fonctionnement d'une institution qui semble priver, a priori, les sujets de toutes libertés réelles d'action, quand bien même ceux-ci aspirent à une vie heureuse par son intermédiaire ? Aussi serons-nous amenés à nous interroger sur les intentions réelles de l'Etat sur le sujet, ainsi que sur les enjeux latents et manifestes auxquels celui-ci peut aspirer à travers celui-là.
[...] L'Etat et ses conséquences sur l'individu Aussi sommes-nous amenés à nous interroger sur les conséquences effectives de l'Etat sur l'individu. Nous avons vu précédemment que le sujet préférait sacrifier son autonomie, son indépendance afin de profiter de la sécurité qu'implique son appartenance à une nation, sous l'égide de l'Etat. Ce paradoxe incarne le conflit qui semble avoir lieu entre la liberté et la sécurité, entre l'autonomie et l'hétéronomie, qui met le sujet sous tension. Le sujet ne subsiste plus qu'à travers le groupe, plus fort que jamais certes, mais existe-t-il encore en tant qu'individu ? [...]
[...] C'est tout du moins la volonté manifeste (et non latente) d'une institution comme l'école, qui permettrait aux individus d'apprendre à se prémunir contre les préjugés et à construire une personne saine et hardie d'esprit, instruire venant du latin instruere qui signifie élever, bâtir, outiller. Il s'agit bien d'aider à l'accomplissement du sujet pour en faire un acteur efficace de l'Etat. L'individu est donc amené à se contraindre à certaines règles mineures pour mieux s'émanciper vis-à-vis de règles supérieures. L'Etat apparait donc, à la croisée de notre argumentation, comme un compromis réalisé entre individus lors duquel l'intérêt individuel est empiété par l'intérêt collectif. [...]
[...] Aussi le paradoxe de la mise en place de l'Etat demeure à juste titre dans la prise de conscience initiale des sujets du bien-fondé du groupe organisé. Aussi peut-on se demander si l'Etat n'est en réalité pas que le résultat inéluctable du caractère social, s'il en est, des hommes. Pour préciser, y'a-t-il réellement un ou des sujets responsables de sa mise en place ? Il parait plus convenable de penser que chacun, agissant pour son propre intérêt, agit malgré lui pour l'intérêt d'autrui. [...]
[...] La soumission totale du sujet aux intérêts de l'Etat semble donc être une condition nécessaire à son intégrité même. Aussi s'éloigne-t-on brutalement du dessein initial de l'Etat comme garant de la sécurité des individus qui le composent. En s'intéressant à l'étymologie du terme, Etat vient du latin stare être debout, qui met en évidence la stabilité et la permanence de ses institutions. Se pose alors une question essentielle, l'Etat doit-il être le garant du bien de ses sujets ou de son propre bien ? [...]
[...] Si l'individu ne fait que subir l'exercice de l'Etat sur sa personne, il est dans une situation d'hétéronomie puisqu'il se voit confisquer la possibilité de toute liberté d'agir. En revanche, la prise de conscience de l'Etat, dirigé par tous et pour tous, nous avons tenté de montrer qu'alors, le sujet bénéficiait du compromis optimal entre son désir de sécurité et l'expression de la liberté de sa volonté. Aussi comprend-on mieux dès lors qu'un Etat autoritaire n'est pas de façon aussi facile un Etat illégitime. [...]
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