Sans doute, chacun d'entre nous aimerait pouvoir faire ce qui lui plaît quand cela lui chante. Mais nos désirs viennent bien souvent se heurter à l'interdiction de la loi civile, nous exposant du même coup au châtiment prévu par la loi, si on leur laisse malgré tout libre cours. Ainsi, c'est un fait les lois de l'État viennent entraver notre liberté d'action. Pourtant, chacun reconnaît également, pour peu qu'il prenne la peine d'y réfléchir, qu'obéir aux lois de l'État est nécessaire pour que l'ordre règne : que serait une société où chacun se mettrait à n'en faire qu'à sa tête, bafouant les lois à l'envi ? Nous disons : ce serait l'anarchie, car toutes les lois perdraient justement toute leur valeur de lois. De là à tomber dans un « État de nature » où ne régnerait finalement que ce que Rousseau ou Hobbes nomment « la liberté naturelle », c'est-à-dire le pouvoir de suivre ses seules impulsions sans autres limites que celle de sa force propre, il n'y a qu'un pas.
Cependant, il faut aussi remarquer que l'État est une institution qui n'a pas toujours existé : l'ethnologie a montré que des sociétés sans État sont possibles, sans que pour autant leurs membres ne s'entredéchirent. On pourrait concevoir de se débarrasser de cette institution qui ne paraît pas absolument indispensable pour la vie en communauté, et qui, en plus, nous bride dans nos élans. Toutefois y gagnerait-on réellement ? Serions-nous véritablement plus libres et plus heureux pour autant ? En fait, nous avons peut-être un peu vite considéré l'État et ses lois comme une instance négative et contraignante pour les individus que nous sommes : au lieu de nous égarer dans des utopies que la réalité historique et ethnologique dément, nous ferions peut-être mieux de réfléchir aux conditions d'un État qui serait non seulement bon pour nous, en tant qu'il favoriserait une coexistence pacifique, mais aussi bon en soi, c'est-à-dire juste, en tant qu'il respecterait la dignité et la liberté proprement humaine. Tel est l'examen que nous nous proposons de mener.
[...] La conséquence d'une telle histoire, Rousseau la résume dans le célèbre constat qui ouvre son Contrat social : l'homme est né libre, et partout il est dans les fers L'État, cette institution née des contingences de l'histoire humaine, a consacré le mal social par excellence que sont inégalité et servitude, transformant des hommes que leur nature destinait à la liberté les uns en maîtres, les autres en esclaves, les premiers n'étant en fait pas plus libres que les seconds. Est-ce à dire que toute autre forme d'institution politique soit inenvisageable ? [...]
[...] En fait, nous avons peut-être un peu vite considéré l'État et ses lois comme une instance négative et contraignante pour les individus que nous sommes : au lieu de nous égarer dans des utopies que la réalité historique et ethnologique dément, nous ferions peut- être mieux de réfléchir aux conditions d'un État qui serait non seulement bon pour nous, en tant qu'il favoriserait une coexistence pacifique, mais aussi bonne en soi, c'est-à-dire juste, en tant qu'il respecterait la dignité et la liberté proprement humaine. Tel est l'examen que nous nous proposons de mener. I. Les sociétés sans État : un paradis perdu ? [...]
[...] Après tout, des sociétés sans État sont possibles, ainsi que le montre l'ethnologue Pierre Clastres. Mieux même, il semblerait que ces sociétés dites primitives ne soient pas tant des sociétés sans État que des sociétés contre l'État autrement dit des sociétés qui se sont constituées en refusant le modèle organisationnel d'un pouvoir distinct du corps social. Dans ces sociétés, point de maîtres, ni d'esclaves : s'il y a bien un chef, il n'a aucune marge d'initiative, il ne peut absolument pas laisser libre cours à son arbitre pour imposer sa loi aux membres du groupe et leur faire ainsi violence. [...]
[...] Si l'histoire des États s'est confondue avec l'histoire du mal, c'est-à-dire de l'inégalité et de l'injustice, celle-ci n'a pourtant rien de nécessaire et n'est pas une fatalité. Comprendre les principes du droit politique au contraire, c'est comprendre que l'État n'est véritable, c'est-à-dire juste et légitime, qu'à la condition que tous, en n'obéissant aux lois, n'obéissent qu'à leur volonté propre. Et nous verrons alors que l'État bien compris est un bien nécessaire, au sens où seul il permet aux hommes de déployer leur liberté, bref, de se conduire enfin d'une manière digne de l'humanité. [...]
[...] L'État est-il un mal nécessaire ? Introduction Sans doute, chacun d'entre nous aimerait pouvoir faire ce qui lui plaît quand cela lui chante. Mais nos désirs viennent bien souvent se heurter à l'interdiction de la loi civile, nous exposant du même coup au châtiment prévu par la loi, si on leur laisse malgré tout libre cours. Ainsi, c'est un fait les lois de l'État viennent entraver notre liberté d'action. Pourtant, chacun reconnaît également, pour peu qu'il prenne la peine d'y réfléchir, qu'obéir aux lois de l'État est nécessaire pour que l'ordre règne : que serait une société où chacun se mettrait à n'en faire qu'à sa tête, bafouant les lois à l'envie ? [...]
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