Tocqueville, en fin de livre (notre chapitre n'est pas loin du terme de l'ouvrage), réfléchit à une ultime complication : deviner l'avenir de la démocratie.
Ce qui fait problème pour Tocqueville, c'est la stabilité de la démocratie. L'auteur s'inquiète de la stabilité de la démocratie comme un chimiste s'inquiète de celle de la solution contenue dans son tube à essais : une fois l'agitation initiale passée, la solution va-t-elle rester telle qu'elle, belle et homogène, où va-t-elle se transformer en tout autre chose, la décantation ayant agi et les composants se révélant non miscibles ? En d'autres
termes, pour filer la métaphore, n'est-il pas à craindre que la démocratie, liquide précieux et
admiré au début de l'expérience, ne finisse, après un temps de repos, par voir la liberté du
peuple former un précipité amené à couler directement, tandis que ne resterait au-dessus
qu'une trouble solution de despotisme ?
Voilà bien la crainte de Tocqueville, face à la « passion » de l'égalité et à la montée
de l' « individualisme » : la démocratie, gouvernement du peuple par le peule, ne finira-telle
pas par devenir un gouvernement du peuple sans le peuple ? Et par là, une nouvelle
forme de « despotisme » ne risque-t-elle pas d'apparaître ? Sans s'en rendre compte,
Tocqueville inaugure les temps hégéliens de la dialectique, en résolvant des chaînes de
paradoxes par la mise au jour de contradictions internes à un système – le système
démocratique. Par des jeux d'opposition tirés au couteau, Tocqueville fait ainsi naître une
vision réellement puissante de la société démocratique : commençant par décrire ce qu'il
connaît : le despotisme aristocratique, il imagine en creux ce que peut être un despotisme
démocratique – et trouve en l'état de sa société, des indices que ses craintes sont bien
fondées...
[...] elle attachait à quelques grands objets principaux, et négligeait le reste etc.), le début de ce texte nous révèle en creux ce que peut être un despotisme en démocratie ceci dérivant aussi de ce qu'est l'homo democraticus dans ce jeu d'oppositions là. Celui-là sera indépendant et séparé parce que l'homme féodal vivait selon des dépendances multiples, positivement définissables (de fortunes, de métiers, de conditions, de traits personnels ) ; 4 il entretiendra avec ses semblables et avec le pouvoir des relations simples et indifférenciées parce que son Autre entretenait des références multiples et raffinées (dans aristocratie, aucun homme de semblable et cela fait que ses idées aussi seront a simples et ses passions réduites à une seule, celle de égalité; son gouvernement, enfin, ignorant les pouvoirs intermédiaires et formé selon ces idées simples Cette modération universelle modère le souverain lui-même et arrête [ . [...]
[...] En absence de tout autre lien Chacun retiré à eux, écart, est comme étranger à la destinée État de tous les autres . il n'a plus de patrie liée à cette montée de l'individualisme, devient le seul lien constituant de la société des individus. Il en résulte une confusion entre le gouvernement comme organe de direction politique, administration comme organes de régulation et de fonctionnement de la société, la société comme le corps que forment État entité politique en tant que telle. [...]
[...] Et par là, une nouvelle forme de despotisme ne risque-t-elle pas d'apparaître ? Sans s'en rendre compte, Tocqueville inaugure les temps hégéliens de la dialectique, en résolvant des chaînes de paradoxes par la mise au jour de contradictions internes à un système le système démocratique. Par des jeux d'opposition tirés au couteau, Tocqueville fait ainsi naître une vision réellement puissante de la société démocratique : commençant par décrire ce qu'il connaît : le despotisme aristocratique, il imagine en creux ce que peut être un despotisme démocratique et trouve en l'état de sa société, des indices que ses craintes sont bien fondées I ) L'ANCIEN DESPOSTISME : UN POUVOIR INTENSIF Pour arriver à son diagnostic sur les errances possibles d'un démocratisme en dégénérescence, Tocqueville commence par établir une description d'un monde qu'il connaît mieux, celui dont il est la fois le fossoyeur de raison et l'héritier de cœur : l'aristocratie. [...]
[...] J'aurais bien pu intituler ce volume Essais dans l'art de prophétiser, car j'ai eu malheureusement davantage de succès dans la prophétie que dans la persuasion. John Maynard Keynes Ainsi, au travers de ce texte, Tocqueville nous laisse un avertissement in fine, une recommandation avant de partir, et de refermer le livre. Avec une modernité incroyable, paradoxale chez un noble, qu'on attendrait, de part ses origines, extrêmement conservateur (mais il n'est pas à un paradoxe près . Tocqueville nous laisse donc sa prophétie, martelée comme du Nietzsche, torturée comme du Hegel, et qui n'est pas sans rappeler les thèses de certains marxistes contemporains. [...]
[...] Mais comme de nombreux intellectuels l'ont remarqué, avant lui, ou sa suite –comme l'économiste de Bloomsbury il est, paradoxalement encore, plus aisé d'avoir raison contre les autres que de leur montrer que l'on a raison BIBLIOGRAPHIE Ouvrage de référence : TOCQUEVILLE A. De la démocratie en Amérique, édition électronique de J.-M. Tremblay, Chicoutimi (1ère édition : 1840) Sur Tocqueville : LEFORT C., Ecrire : à l'épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy MANENT P Tocqueville et la nature de la démocratie, Paris, Fayard Sur la possibilité d'un despotisme démocratique : ABENSOUR M., L'Etat contre la démocratie : Marx et le mouvement machiavélien, Paris, Editions du Félin Sur la fonction de l'intellectuel : KEYNES J.M., Essays in persuasion, Londres, Macmillan (trad. [...]
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