Jean Bodin, dans les Six livres de la République, en 1576, donne le premier une définition claire de la souveraineté de l'Etat : « La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d'une République ».
Pour lui, on l'a déjà vu, République désigne encore l'Etat. Bodin définit donc ce qu'il nomme en latin « summa potesta », et il tente également de lui donner une consistance plus matérielle en définissant une série de « vraies marques de la souveraineté ».
On peut donc se demander ce qu'il entend par cette expression, et de manière plus large, quels sont les éléments qui caractérisent ce pouvoir suprême de l'Etat, à l'intérieur de ses frontières comme dans les relations internationales. Existe-t-il un contenu minimal de la souveraineté ? Y a-t-il des pouvoirs qui ne peuvent être cédés ? Enfin, quelle résonance trouve cette question dans la construction européenne contemporaine ?
Nous nous attacherons tout d'abord à définir les conceptions « classiques » des marques de la souveraineté, dans leurs multiples dimensions ; puis nous nous demanderons quelle postérité a connu cette analyse originelle, à la lumière des évolutions politiques à la fois nationales et supranationales.
[...] Hobbes rejoint Bodin, dans cette sorte de typologie des marques de souveraineté. Dans le De Cive, il définit celles-ci de la même façon que Bodin. Et dans le Léviathan, il définit ces droits attachés à la souveraineté, comme inaliénables et inséparables C'est-à-dire que pour lui, comme pour Bodin, la souveraineté est indivisible. Ces attributs, ces pouvoirs de la souveraineté qu'ils énumèrent ne peuvent être cédés, sous peine de mettre fin à cette souveraineté même. Mais ce caractère indivisible de la souveraineté et de ces marques pose problème. [...]
[...] Vers une nouvelle conception de la souveraineté ? Voilà donc pour ce qui en est des conceptions fondatrices, originelles de l'expression de la souveraineté. Mais il parait dans un second temps intéressant de se demander si ces conceptions sont toujours d'actualité. En effet, ne sont-elles pas remises en cause, d'une part par l'évolution de la conception même de l'Etat et la généralisation des principes démocratiques, mais aussi d'autre part par l'apparition de nouvelles organisations, dites supranationales, comme l'Union européenne ? [...]
[...] De plus, on peut tirer comme conséquence directe de cette caractérisation matérielle de la souveraineté, l'idée d'une dualité de commandement. En effet, même si pour Bodin l'édiction de la LOI regroupe les marques de souveraineté en son sein, rien ne s'oppose formellement ces marques soient détenues par des autorités différentes. La souveraineté concrète est dans ce cas là envisagée comme une somme de compétences. Cependant, il semble difficile de voir une divisibilité dans la conception abstraite de la souveraineté, c'est-à-dire la puissance suprême. Soit elle existe soit elle n'existe pas. Il n'y a pas d'alternative possible. [...]
[...] Peut-on pour autant dire que les états membres de l'UE ne sont plus souverains ? Il apparaît en réalité que la souveraineté nationale est toujours effective, puisqu'elle s'est en quelque sorte auto-limitée par traité. On a autorisé un transfert de compétences, de marques de souveraineté, qui se situent non plus au niveau national, mais au niveau supranational, l'autorisation ayant toujours été donnée par le niveau national. En fait, le signe le plus important de souveraineté national est désormais la constitution. [...]
[...] Néanmoins, certains de ces pouvoirs peuvent être cédés, et il apparaît vite que la seule vraie marque de la souveraineté est le pouvoir de faire Loi, c'est-à-dire la possibilité pour le pouvoir souverain de fixer lui- même les conditions d'exercice de son autorité. L'histoire montre ainsi une continuité entre les vraies marques de Bodin, et les systèmes constitutionnalistes contemporains. En somme, ce qui évolue, ce ne sont pas tant les marques de la souveraineté que l'entité dans laquelle elles s'incarnent. [...]
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