Est-il raisonnable qu'en démocratie tous les pouvoirs trouvent leur origine dans la volonté majoritaire ? Le demos est-il toujours dans le vrai? En d'autres mots, doit-on, en démocratie, entendre le peuple sur tout et tout le temps?
Et si, comme le souligne Robert Dahl , historiquement "living under a democratic government is not a natural condition for human kind; it is aberrant", il n'en reste pas moins que la démocratie s'impose comme horizon nécessaire de la légitimité politique. La démocratie libérale "n'a plus d'ennemis ", nous diront un Marcel Gauchet, ou plus radicalement un Francis Fukuyama, tenant d'une thèse de la fin de l'histoire. Cette victoire de la démocratie va de pair avec celle de la raison du peuple, celui-ci étant le principe fondateur de celle-là.
Par raison nous pouvons entendre "cette faculté pensante et son fonctionnement, chez l'homme; ce qui permet à l'homme de connaître, juger et agir conformément à des principes ". Avoir raison, ou être doté de raison semble être, dans ce premier sens, être apte à agir selon le bon et le vrai .
Mais à cette raison s'oppose une autre acception: la raison antonyme de tort est cette "action ou comportement que l'on approuve “. C'est la différence entre avoir raison et être donné raison. Le pari démocratique semble se fonder moins sur l'idée d'un peuple vertueux et raisonnable – l'inaptitude de celui-ci à gouverner n'a cessé d'être raillée – que sur les vertus supposées de donner raison au peuple avant tout.
Nous écarterons ici la question de l'irrationalité populaire mise en évidence par les expériences totalitaires du XXe siècle. Car alors même que le totalitarisme allemand, en particulier, nait de la démocratie, c'est dans un régime non démocratique que cette irrationalité se manifeste.
En démocratie, la question advient de cette tension entre l'idéal d'autonomie des Lumières – idéal d'autoconstitution du peuple en souverain, surtout présente chez Rousseau – et la réalité de la pratique politique.
En d'autres termes, nous devons nous intéresser à comprendre comment, alors que les démocraties modernes se fondent sur cette seconde catégorie de raison, celle qui donne raison, elles doivent aussi, pour leur propre préservation, en limiter la portée. Il semblerait s'agir là d'un paradoxe fondateur: en même temps que la démocratie est démocratique parce qu'elle donne raison au peuple, elle ne peut le rester qu'en trouvant des principes de fonctionnement aliénants. A-t-on raison de donner raison au peuple?
[...] Nous écarterons ici la question de l'irrationalité populaire mise en évidence par les expériences totalitaires du XXe siècle. Car alors même que le totalitarisme allemand, en particulier, nait de la démocratie, c'est dans un régime non démocratique[8] que cette irrationalité se manifeste. En démocratie, la question advient de cette tension entre l'idéal d'autonomie des Lumières idéal d'autoconstitution du peuple en souverain, surtout présente chez Rousseau et la réalité de la pratique politique. En d'autres termes, nous devons nous intéresser à comprendre comment, alors que les démocraties modernes se fondent sur cette seconde catégorie de raison, celle qui donne raison, elles doivent aussi, pour leur propre préservation, en limiter la portée. [...]
[...] En d'autres mots, si le peuple ne gouverne pas, il lui incombe ultimement de donner le sens et la direction du gouvernement. Ainsi, l'on vote à des intervalles réguliers; si indépendance des représentants il y elle n'est que relative; l'expression des volontés politiques des gouvernés est libre; enfin, les décisions publiques font l'objet de débats publics[11]. En d'autres termes, le peuple est la source de ce qui est, dans l'espace discursif de la politique, considéré et sanctionné comme bon. Nous retrouvons notre deuxième catégorie de raison. [...]
[...] Voilà le premier danger de la démocratie: elle suppose une rationalité populaire qui fait invariablement défaut. L'illustration qui nous est certainement la plus proche est celle des politiques répondant à la phobie sécuritaire engendrée par l'immigration. À considérer qu'elles soient de nature à apaiser des tensions irrationnelles du peuple, elles ne peuvent elles-mêmes être raisonnables. Pour répondre au constat que le peuple en tant que tel ne peut souvent pas être considéré comme une entité de raison souvent peu éduqué et ne pouvant connaitre des aspects les plus techniques des politiques menées en son nom Robert Dahl développe le concept de Guardianship[28]. [...]
[...] Mais si l'idéal démocratique semble imposer ne serait-ce que pour palier les défauts de la représentation la prévalence des raisons du peuple sur celles de ses représentants, le régime représentatif est en réalité un filtre permettant de faire barrage aux dangers inhérents à la démocratie Les dangers de la raison et de la déraison populaires Si la démocratie apparaît aujourd'hui comme l'horizon ultime de la légitimité politique, elle n'a cessé d'être critiquée comme un régime dangereux. Platon sur la démocratie classique affirmait qu'elle était le lieu de la démagogie et de la passion. Tocqueville, lui aussi, a perçu les dangers tyranniques propres à la démocratie. [...]
[...] Ainsi, l'idée de souveraineté populaire place le peuple à la base et au sommet du politique: il en est le principe constitutif et le pouvoir ultime, et sa raison prévaut sur toute autre raison. Alfred E Smith (homme politique américain, 1873-1944) ne fait que covalider cette thèse dans sa célèbre citation "all the ills of democracy can be cured by more democracy". Autrement dit, la raison du peuple est l'impératif Si nos démocraties modernes ne peuvent se constituer selon l'idéal rousseauiste d'une souveraineté indélégable, elles tentent par des mécanismes divers de palier les maux de la représentation B Contre les maux de la démocratie, plus de démocratie L'impossible représentation. [...]
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