La crise, c'est le passage d'une situation à une autre caractérisé par d'extrêmes tensions sur l'objet de la transformation et d'importantes conséquences. La citation de Jacques Attali porte sur la crise économique des pays postindustriels, mais elle comporte les trois éléments caractéristiques du concept de crise : la difficulté, la réécriture, et la transition. Son étymologie est éclairante. La crise est pour les grecs un terme divinatoire, krinein : la croisée des chemins. En français, il désigne la phase déterminante d'une maladie, quand la vie du souffrant est sur le fil.
Qu'est ce que la crise dans le champ de la philosophie politique ? Peut-on appliquer immédiatement le concept général à cette discipline particulière ? Sans doute, car ses caractéristiques restent pertinentes : la crise dans la cité est toujours un état de difficulté, de réécriture et de transition. La difficulté à gérer une réécriture du politique, c'est à dire la redéfinition de la cité, implique que la crise prend souvent la forme d'une menace. La transition, c'est l'instabilité des structures sociales qui vont évoluer tant qu'elles n'auront pas trouvé un nouvel équilibre. Le concept de crise comporte cependant un problème d'échelle dans le champ politique. Ainsi, des pans partiels de la société sont toujours en mutation et n'impliquent pas nécessairement un bouleversement critique de la cité. Il peut exister une crise artistique, culturelle ou morale sans que l'ensemble social ne soit mis en branle. Afin de rester dans une vision globale, au niveau de la cité (et donc politique) de la crise, nous limiterons dans cette dissertation le concept à son sens le plus fort, le plus exhaustif ; aux cas où la menace pèse toute entière sur la cité et en secoue si vigoureusement les fondements qu'il est suicidaire de ne pas chercher à la contrôler.
[...] La France de la Première Guerre Mondiale, alors que Guillaume II pariait sur l'incapacité des démocraties à soutenir une longue guerre, sait mettre à sa tête des personnages charismatiques (comme Georges Clemenceau) ou faire appel à une symbolique patriotique forte. Hors du contexte guerrier, l'effort de certains gouvernements démocratiques dans la communication et dans la personnalisation du pouvoir permet l'unité dans les grandes crises économique. La politique volontariste de Roosevelt dans le New Deal de 1933 en est un bon exemple. La démocratie n'est donc pas incapable d'adaptation et de concessions pour faire face aux crises. Plus encore, il est possible que les démocraties soient beaucoup plus efficaces dans la prévention des crises. Le peuple constitue un formidable veilleur. [...]
[...] Cependant, les mécanismes permettant le passage état de paix-état de crise et état de crise-état de paix sont vulnérables, car le concept de crise suppose une évaluation. Cette évaluation peut être déformée par les dirigeants (état d'urgence injustifié) ou par un emballement démocratique (crise dissoute et dérive sécuritaire). Il est donc capital de conserver une vigilance libérale face à chaque politique sécuritaire réduisant la sphère privée. Sans tomber dans le syndrome Big Brother, nous devons être particulièrement attentifs lorsque cette nouvelle politique passe par les subreptices technologies de l'information. N'intégrons pas la crise à nos sociétés au point qu'elle devienne permanente. [...]
[...] Car dans la crise, la division des forces d'un pays est fatale. La dictature a donc ceci de prévalent qu'elle a supprimé les forces politiques et corps intermédiaires qui aurait pu faire obstacle à sa politique de crise. N'ayant pas toléré les dissensions en temps de paix -entendu comme la situation hors crise-, il est probable qu'elle aura plus de facilité à maintenir la cohésion générale en temps crise. Fustel de Coulanges, dans son ouvrage La cité antique, fait ainsi de la séditieuse démocratie, où prévalent opposition, débat, agitation et conflit la cause de la destruction de la cité antique. [...]
[...] Nous nous intéresserons à l'adaptation de la modernité politique à la situation de crise. En effet, que ce soit en économie, en géopolitique, en politique ou en écologie, les crises semblent fleurir partout dans le monde moderne ; ou du moins sur toutes les lèvres. Nos sociétés modernes, au sens néotocquevillien de l'organisation occidentale démocratique, libérale et individualiste née du rejet de l'Ancien Régime (et de son prémodernisme), se voulaient profondément pacifiées et stabilisées depuis des siècles. La Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée ; elle est finie clamait Bonaparte en 1799. [...]
[...] Le concept de crise comporte cependant un problème d'échelle dans le champ politique. Ainsi, des pans partiels de la société sont toujours en mutation et n'impliquent pas nécessairement un bouleversement critique de la cité. Il peut exister une crise artistique, culturelle ou morale sans que l'ensemble social ne soit mis en branle. Afin de rester dans une vision globale, au niveau de la cité (et donc politique) de la crise, nous limiterons dans cette dissertation le concept à son sens le plus fort, le plus exhaustif ; aux cas où la menace pèse toute entière sur la cité et en secoue si vigoureusement les fondements qu'il est suicidaire de ne pas chercher à la contrôler. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture